
Article écrit le 17 décembre
17 novembre – 12 décembre. 25 jours (la durée d’une transpacifique…). Plus de 3000 miles parcourus (5400km). Au moins 200 heures de quart dans le cockpit. Une bonne vingtaine de bateaux croisés, et surtout des voiliers ! Une baignade au milieu de l’océan, 130 Go de vidéos tournées, 4 escales d’oiseaux à notre bord, quelques apparitions de dauphins, moins d’une heure de pluie cumulée, 3 ou 4 changements d’heure et 0 casse…
Quelle étape… Comment la raconter ? J’ai bien bleui des dizaines et des dizaines de pages de mon carnet, pour garder une trace éternelle du moment présent, mais écrire à vous toustes (et à moi-même) cette traversée, c’est autre chose.
En tous cas, je peux commencer par hurler un gros MERDE virtuel, parce que voilà, c’est arrivé : je suis en Martinique et on a atteint la terre promise via l’océan, bordel !! Je suis ravie de l’accomplissement de ce projet qui m’était apparu petit à petit comme une évidence il y a deux ans. C’est le padre qui avait planté la fameuse graine ! Il (dédicace Ludo) m’avait soufflé l’idée de me rendre au Liban par la mer, quand je prévoyais mon semestre à Beyrouth… J’avais renoncé au projet, logistiquement trop compliqué (entre autres 381 aléas), mais j’avais appelé une fille qui l’avait fait et qui m’avait prouvé à quel point c’était faisable (dédi à Justine Lorthios, elle rénove un bateau au Guatemala, allez voir son projet sur YouTube elle est géniale). La graine a germé bien vite et est devenue un des gros arbres absents de l’océan mais foisonnant dans la jungle martiniquaise : j’irais en Amérique du Sud, et j’irai en bateau. Sans du tout me projeter sur la vie en bateau, j’étais dans le juste, dans ce qu’il me fallait. Conclusion, les certitudes sont parfois bonnes : je savais c’est tout, que ça se ferait. Et m’y voilà, aux Antilles. C’est fait, c’est derrière moi. C’est vécu.

Doncdoncdonc. Comment vous partager cet océan traversé, cet océan de pensées, cet océan de coupure totale avec la civilisation et avec toute information de l’extérieur, cette océanique et ubuesque épreuve humaine que représente la vie avec cinq êtres humains inconnus dans un espace clos au milieu d’un désert aquatique ? J’avais hâte, hâte de savoir ce que ça faisait, d’être coupée de tout autant de temps et avec pour seul décor l’horizon changeant au gré de la houle. Hâte de voir comment je me sentirais, ce que l’océan m’inspirerait et quels côtés un bateau pourrait faire sortir de moi et me faire découvrir – bien que j’ai compris que tout le délire introspectif est quand même limité dans la constante présence d’autrui, mais j’y reviendrai.
Peut-être devrais-je commencer par dire qu’en mer, l’espace-temps part complètement en vrille. Le temps n’a de réalité que dans l’esprit qui le conçoit… « Imaginez, on arrive et on se rend compte que nos trois semaines avec Poséidon ont en fait été trois ans sur terre ?? » me plaisais-je à penser en mer avec mes coéquipier.e.s. Bah, c’est un peu le feeling à l’arrivée. J’ai essayé de reprendre contact avec tout le monde comme si j’avais vu personne depuis des années lumières, parce que c’est ce que je ressentais. L’impression persistante que cette bulle spatio-temporelle n’a existé que quelques heures, ne donne pas la moindre possibilité de réaliser et de digérer proprement l’expérience. En fait, on se boussole, on retourne à l’essentiel pour vivre. Oui, on se reconnecte à soi-même et à la nature, mais je ne m’enfonce pas dans ce blabla un peu bateau (hihi) puisqu’en fait, on est tellement immergée qu’on ne comprend plus rien et que tout devient insaisissable.

En même temps, bien que Madame Conscience-de-l’espace-temps soit restée à terre au troquet du port à nous regarder partir en sirotant son rhum, l’isolation et l’absence de contact avec l’extérieur se sont fait ressentir ! J’ai énormément pensé à chacune des personnes importantes dans ma vie (<3 <3 <3), de la famille comme des copains. D’ailleurs mes rêves en étaient éprouvés : une bonne partie des potes se retrouvaient dans des situations loufoques et tordues mises en scène par un subconscient ressassant tout son vécu et éprouvant son éloignement avec les amuuurs de sa vie. A ce sujet, j’aimerais partager des phrases d’Alain Damasio dont l’incroyable univers du livre La Horde du Contrevent m’a accompagnée pendant une bonne partie de la transat (accrochezvousc’estlong): « Je m’en sortis parce que je compris, au cœur de mon effondrement, que toute la Horde n’était encore debout sur la lande que par ma faculté active à la faire vivre. La solitude n’existe pas. Nul n’a jamais été seul pour naître. La solitude est cette ombre que projette la fatigue du lien chez qui ne parvient plus à avancer peuplé de ceux qu’il a aimé, qu’importe ce qui lui a été rendu. Alors j’ai avancé peuplé, avec ma horde aux boyaux, les vifs à un pas et une certitude : l’écroulement de toutes les structures qui m’avaient porté jusqu’ici […] ne m’enlevait pas, ne pourrait jamais m’arracher, pas même de leur mort, ce qui ne dépendait, authentiquement, que de moi : l’amour enfantin qui me nouait à eux. ». Ce passage m’a tellement touchée et parlé ! Le bouquin est venu à moi au bon moment…
Lors de mes quarts la nuit, quand l’ennui pointait le bout de son pif et que le silence s’installait avec mon partenaire de watch, je me plongeais dans mon passé. Je me créais mon petit monde hypnotique pour supporter ces longues heures interrompant à chaque fois la profusion de mes rêves la nuit. J’allais chercher des souvenirs enfouis, des situations improbables vécues ces dernières années, des gens rencontrés, des voyages récents aux années Sciences Po (qui ont une putain d’importance, malgré le ras-le-bol d’Aix !!) jusqu’aux années de lycée et même des (rares) souvenirs d’enfance. J’essayais de me refaire moi Mahaut, (Mahi Mahi pour les intimes d’ailleurs maintenant (c’est un nom donné à la dorade coryphène qui grouille dans l’océan) : Émilie m’a rebaptisée ainsi. Amen). Souvenirs de périodes de vie, de fêtes, de tracas, de joies, de questionnements, de mes relations, souvenirs de soi dans d’autres périodes. Donc Mahi, moi entière, moi avec tous les gens que j’aime et qui peuplent ma petite tête, moi dans mon existence en vie. J’essayais sans cesse de rassembler tout ce vécu pour être complètement entière dans le présent.

Mais je reviens à mes moutons, à ce présent-là, dans lequel je devais surtout composer avec le cata, Janet, Christophe, Rico, Mattéo et Émilie, et l’ambiance à leur côté. Je vais vous décrire ce petit monde qui a peuplé le mien pendant presque six semaines, au final !
L’équipage




Janet. Janet, mi-allemande mi-thaïlandaise, aux 1000 histoires et vécus à raconter allègrement lors des quarts la nuit. Janet est pétillante, toute fraîche, très marrante, et a un côté enfant éternel que j’ai beaucoup aimé. On a appris à s’apprivoiser lorsqu’on a commencé à être de quart ensemble et j’ai vraiment pu la connaître plus en profondeur. C’est une femme que la vie n’a pas toujours aidée mais qui a été roots dès son jeune âge et qui a su prendre les opportunités de changements de vie… Sur le bateau, c’est la « first maid » comme on dit dans le monde du bateau de propriétaire : elle s’occupe de la propreté, de la gestion du bateau, etc. Je me suis vraiment attachée à elle et lui dire au revoir n’a pas été chose facile !


Janet travaille de pair avec Christophe, son chéri et le capitaine. Christophe, un mec très cool à rencontrer, qui a vu des pays et du monde grâce à un presque tour du monde sur un bateau qu’il a convoyé pour des propriétaires pendant 8 ans. Donc un gars intéressant avec du vécu et de l’humour, mais qui s’est révélé assez difficile à vivre par son énorme lacune en communication. Autant vous dire que j’ai pris 10 niveaux en dalaï-lamattitude sur cette transat. Bien qu’on ne respecte pas toujours ses consignes à la lettre, son insatisfaction et sa manière de dire les choses rend l’ambiance générale franchement pesante et tendue plus d’une fois. Son ton répréhensif me pousse presque à l’insolence et j’ai parfois l’impression d’être une ado de 14 ans en pleine crise. Heureusement que son pote et second Rico était là pour qu’il se détende parfois…



Rico, donc. Rico, dont les yeux bleu clair et perçants sont la vitrine d’une bienveillance et d’une tranquillité forte que la mer a su exacerber en lui. 67 ans, la voix écorchée par tout le tabac fumé depuis 50 ans. Sa peau est tannée par le soleil, creusée par des sillons qui en disent long sur les regards par millions lancés à l’horizon depuis qu’il est devenu marin pro. Du haut de ses douze ou treize traversées de l’Atlantique, il est présent sans être oppressant, vit dans le présent puisqu’ « on verra bien » et me raconte toujours volontiers ses petits enfants et ses navigations pendant nos quarts. Il a été chef longtemps dans sa vie, un super point sur un bateau héhé ! Ses petits côtés de marin macho m’ont hérissée de tous mes poils plus d’une fois, mais Rico est un bon gars et sa compagnie a été bien agréable. Très pédagogue, il savait toujours répondre à mes 324058 questions et éternels pourquoi sur la voile et les bateaux.


Mattéo, c’est un sacré bout de mec de 19 ans, en route pour devenir cap’tain. Plutôt ours au début de la transat, il s’ouvre progressivement et je découvre un gars très drôle et super sympa, toujours de bonne humeur et prêt à la déconne. Présence nécessaire à bord !! En arrivant à la Barbade, j’ai quelques surprises et je le vois se lâcher un peu à l’extérieur du bateau, sans la présence du capitaine. Ils cachent bien leur jeu les djeuns.


Enfin Émilie, 27 ans, une bateau-stoppeuse et slow travelleuse que j’avais un peu décrite dans mon précédent article, avec qui j’ai partagé ma cabine et mes émotions pendant toute cette aventure sur Beyond (le nom du cata). On rigole bien et je ne compte plus les riches discussions qu’on a eues ! J’apprends petit à petit à la connaitre, et je découvre tous les jours de nouvelles anecdotes et faits sur ses voyages et sa vie aussi bien mouvementée (notamment par son attirance aux extrêmes). Pour le dire plus court, c’est une folasse cette meuf !! Une barjo bien agréable et facile à vivre, une super rencontre. Émilie voit les gens comme des livres, avec moult histoires à raconter. J’aime sa vision des choses et je m’en enrichis chaque jour. Par sa grande sensibilité, elle supporte assez mal Christophe et ses humeurs. Je me retrouve à partir du milieu de la transat à lui remonter le moral, ce que je fais avec plaisir mais sans trop de succès. Son coup de blues et sa hâte d’arriver me pompent un peu d’énergie puisqu’ils me ramènent aux mauvais côtés de cette transat, à ce qui me frustre et m’emmerde, et surtout à ce au-dessus de quoi j’essaie de passer. Mais bon, chacun.e gère comme il/elle peut !
En tous cas, pour rebondir sur cette ambiance pas toujours facile, je suis contente de la manière dont j’ai géré son impact sur moi. J’essayais de prendre un maximum de recul pour ne garder que le positif : au bout du compte, c’était moi qui allais porter mon souvenir de transat, pas les autres. Je faisais en sorte que les coups de gueule et les tensions me glissent dessus, c’est tout l’exercice ! Voyager et même vivre avec des personnes qu’on ne choisit pas : là est la difficulté. J’avais tendance à oublier toute perspective du futur, mais j’étais au début de mon voyage, et ça avait au final bien peu d’importance, tellement j’aurais d’autres occasions… Et puis globalement j’avais pas la corde autour du cou (j’ai appris à faire le nœud d’ailleurs, on sait jamais pour des futures transat) : on rigolait bien, je me concentrais sur les bon côtés de chacun.e et sur le fait de m’en nourrir.
La nav

On a dû éviter une grosse bulle sans vent au milieu de l’océan, ce qui explique notre grand détour et la longue durée de notre traversée. Donc, cap presque plein sud jusqu’au Cap-Vert et cap plein ouest ensuite…
Comme je l’ai écrit avant, la navigation professionnelle, c’est radicalement différent de la navigation de plaisance, où l’état d’esprit a l’air d’être généralement bien plus chill (mais mon référentiel, c’est Étienne, et franchement lui c’était le chill master). Je comprends déjà, du haut de mes expériences sur deux bateaux différents, que la gestion du bateau dépend vraiment du capitaine (la vie en communauté, les quarts, le ménage, etc…). Beyond étant un bébé neuf, le moindre faux pas ou négligence est mal pris, puisque la pression est plus grande pour le ramener dans le même état – et vous connaissez peut-être mon niveau de précaution et de soin 😊).


Dans le registre choses-très-chiantes, je dois parler d’une grande frustration que j’ai eue : celle de ne pas être impliquée dans la marche du bateau. Christophe fonctionnant par association de pros et de « novices », la moindre manœuvre est faite par lui ou Rico et malgré mes nombreux forcings pour faire les choses moi-même, vue la non-réceptivité à mes propositions, je laisse tomber. Le moindre truc comme prendre un ris (= réduire la surface de la voile quand le vent monte), régler la voile etc, n’est pas accessibles aux « novices » et du haut de son enthousiaste juvénile, voilà Mahi Mahi très déçue. Pour compenser, je pose un milliard de question pour étoffer au maximum ma connaissance théorique de la voile !
Autre chose concernant la navigation en elle-même, je comprends au fur et à mesure que je diverge de la conception de la voile de Christophe. Il ne veut pas prendre trop de risques avec ce bateau neuf qu’il ne connait pas encore bien, et on se retrouve à naviguer presque toujours sans la grande voile (GV pour les intimes) – en gros, notre angle de vent n’étant pas optimal + la flemme. En dehors d’économiser l’énergie du pilote auto, je comprends que nous faire barrer H24 lui permet de nous responsabiliser et à insuffler une vigilance permanente. Selon lui, « si c’est pour mettre le pilote, autant traverser l’océan en motoryacht ». Mais de ce que j’ai retiré d’Adishatz et d’autres récits de voile, pour moi, ce qui fait vraiment une navigation à voile n’est pas de barrer mais de changer les voiles, de les régler, de regarder sa stratégie d’itinéraire en fonction du vent et d’en discuter avec l’équipage, de renoncer au moteur lorsque le vent forcit… Mais bon, un bateau + un capitaine = une conception, et j’essaie d’accepter les différences avec Adishatz.
La barre et les watch
Quand le vent forcit et que la mer est assez grosse, on peut surfer des vagues avec des pointes à 10 nœuds et c’est super cool. Mais en fait, globalement, barrer présente peu d’intérêt sur un cata, sa taille et la largeur du bateau empêchant de vraiment ressentir la mer. La plupart du temps, barrer revient en fait à rester les yeux scotchés sur les écrans de contrôle qui montrent le cap, la direction du vent et notre angle à celui-ci, surtout quand le vent ne fait que tourner. « Mes quarts de barre sont en fait un jeu vidéo un peu nul et super redondant », j’écris au jour 8. « Les quarts nocturnes n’ont aucunement le charme d’une connexion stellaire avec l’univers, sur ce gros bébé maladroit fait pour le mouillage, qui pollue la noirceur de la nuit avec ses gros éclairages. On est presque coincés sous le plastique salé du cockpit sans trop pouvoir voir les étoiles. Un écran de verre devant la possibilité donnée à l’humain de comprendre sa finitude par la contemplation du ciel à des centaines de miles de toute civilisation ». Dans cet extrait, on peut très finement détecter une certaine frustration bicoquesque que je déchargeais parfois sur mon carnet de bord. Détail ayant son importance : être haut perchés sur l’eau (environ 1,50 m). On se sent moins connectés à la mer que sur une coque de noix.



Malgré tout, j’apprends pleein de constellations, et je deviens une crack interstellaire. Avec Émilie, on repère à chaque tombée de nuit les stars quotidiennes du ciel, j’ai nommé Orion et sa super ceinture, le Taureau avec les pléiades et Mars entre ses cornes, et Cassiopée en W (et pas en Y). J’apprends le grand chien, le lapin (dont le nom est strictement interdit à bord : superstition marine !), le cocher, Persée, le cygne et l’aigle dans la voie Lactée, les poissons et la baleine, puis la carène et ses voiles qui se montre par le sud quand l’aube se lève. Je repère Jupiter qui nous montre la voie à l’ouest, Aldébaran et Bételgeuse (grosses pensées à la saga de BD du même titre, qui m’habite encore). Le ciel change au fil de notre avancée et des nuits, et on a de la chance de ne pas avoir de Lune jusqu’aux derniers jours de transat ! C’est assez ouf quand les nuits sont claires et je REMERCIE ceux qui ont créé l’appli Stellarium pour apprendre à connaître le ciel. Du roof, où je peux m’aventurer la nuit quand la mer est assez calme, j’aspire de tout mon être l’air qui tiédit au fur et à mesure des jours, venant généreusement remplir tous mes pores.
Plus on avance, et moins les réveils (toutes les six heures, je le rappelle 🥴) sont difficiles pour moi. Au début, ils sont vraiment confus, tant mes rêves se nourrissent de la réalité : j’ai l’impression de me réveiller à la barre alors que j’ai encore 3 heures à dormir, je rêve que je vois plein de bateaux autour de nous (voire que je coule le bateau), etc. Mais je m’habitue et les quarts passent de plus en plus vite, grâce à mes pensées, et surtout lorsque je commence à en faire la moitié avec Janet, qui parle beaucoup. Je sens moins la fatigue, accoutumée au rythme, et on peut plus profiter du jour sans devoir faire d’énormes siestes.
Les journées
J’y viens j’y viens enfin, du concret. Qu’est-ce qu’on fout sur un bateau, en dehors de dormir et des quarts ? Plein de choses !! Et les jours passent à toute vitesse. Je passe beaucoup de temps à écrire et à lire ; je suis vraiment heureuse de retourner à ces occupations que le tourbillonnement de la vie quotidienne ne me permettait plus. On se marre, on discute de nos vies et de nos expériences. Parfois c’est bronzette, d’autres c’est leçon de cartographie… La musique accompagne ma traversée, et bien sûr évidemment, surtout la musique de Rone, qui colle parfaitement avec l’océan. Je tourne énormément de vidéos pour un jour accomplir mon projet suprême… ça me prend un bon bout de temps de les trier et les classer pour me prémâcher le taff de la suite. Sinon, on cuisine chacun.e notre tour le soir, et le midi on fait surtout des sandwichs. On fait des gâteaux, bref on mange bien. « En mer, faut jamais faire beaucoup d’un seul coup mais un petit peu tout le temps », me dit Christophe. En ce qui concerne la bouffe, on a malencontreusement changé un petit peu le dicton : beaucoup, tout le temps. En même temps, replongez-vous dans le confinement : c’est pareil. Et un voire deux réveils dans la nuit pendant 3h à avoir l’esprit libre, ça amène dans la cuisine… Merci Janet pour les provisions de gâteaux !
Avec Janet, on fait du yoga. On se force à se motiver quand la mer le permet, et on finit souvent par se marrer comme des baleines sur le roof, ballotées par le bateau, dans des positions complètement douteuses et improbables où on imite les animaux qui leur donnent leur nom, comme celle du semi-pigeon ou du lézard. Un sacré yoga. Mais ça fait du bien de mettre un peu son corps en mouvement, sur un bateau ! Outre ces franches marrades, je retiendrai la salutation au soleil et me souviendrai des profondes inspirations pour m’imprégner au maximum dans tout mon corps de l’air parfait de l’océan. J’essaie aussi de me remettre à la méditation au moins un jour sur deux… En tous cas, sans alcool ni clope pendant plus de trois semaines, je me PURGE l’intérieur au karcher. Je me suis rarement sentie aussi saine et ma voix regagne une octave (que j’ai déjà reperdue à l’heure où j’écris ces lignes. Dois-je rappeler la règle d’or ? Le danger c’est la terre, pas la mer.)

Petit déroulé chronologique…
Pour étoffer ce long compte rendu, voilà un récit chronologique de notre aventure sur l’eau, restitué à base de certaines de mes notes de bord, pour raconter le reste et vous immerger : welcome to Beyond (et to ma tête).

Jeudi 17 novembre, 17h – départ.
J’ai un petit coup de blues en partant, et partir prendre le large ne me procure pas grand chose. Je pense plus à tout ce que j’aurais pu vivre en trainant avec d’autres jeunes sur les pontons aux Canaries pour trouver une petite coque pour traverser l’océan, plutôt que ce que je vais vivre sur ce cata et son équipage que je connais déjà.
Vendredi 18 novembre 13h04. Transat jour 1. N27°37’48 W016°16’59.
Le vent et la mer sont de mèche aujourd’hui. 25/30 nœuds de vent, on avance à 7 nœuds rien qu’avec le génois. On file, les vagues nous portent, la coque bâbord vole puis est réimmergée à intervalle régulier. J’observe ses acrobaties à travers le filet tendu à l’avant du bateau. Y’a pas à dire, c’est beaucoup plus ardu d’écrire que dans notre longue pétole jusqu’aux Canaries. Et de dormir, aussi. Quel bordel de vacarme dans notre cabine ! Ça gémit, ça claque, ça tape dans des grands boums, j’ai presque le mal de mer. Que pensez-vous faire ici ? semblent dire les clacs et les chocs dans les creux des vagues. Comme si notre embarcation n’était pas taillée pour s’y rendre, pour nous rappeler que notre place d’humain n’est pas en milieu aquatique. Nous sommes présomptueux, me disent ces bruits.
Les mouvements de la mer nous portent en avant. Chaque vague s’aplatit à son sommet par des centaines de formes liquides qui se confondent en palmes, ou en mains mourant dans un ultime geste impulsant la mer et le bateau dans une gerbe d’écume. Partout, les moutons se forment par milliers, comme si la mer jouait. Bébé est bien réveillé et au bac à sable avec le vent. J’écris sous le fier génois, maître voile du cata, fièrement gonflé par le vent. Je pourrais presque le sentir tout heureux d’enfin être déployé, poussant le bateau.
Devant les incertitudes et les doutes, la mer amène une garantie : avec elle, pas de monotonie. Quand elle se réveille, elle remet les choses en place : les gens, les pensées et l’ordre.
A la rescousse du navire Rapscaillon – 14h30
Appel de Las Palmas à la VHF : « Las Palmas for Beyond, Beyond ». Un bateau à 20 miles des nous a lancé un « pan pan », une demande d’assistance à 11h, mais ne répond plus à la VHF. On nous donne ses coordonnées : on doit aller voir ce qui se passe. Le GPS indique deux heures pour y parvenir ; cap au 180°. Mélange d’excitation d’une situation inédite même pour Chris et Rico, et de prise au sérieux pour appréhender un potentiel vrai souci sur ce bateau, Rapscaillon. Les pronostics fusent, les blagues avec Émilie et Mattéo aussi.
Qu’allons-nous découvrir ? Une dimension parallèle avec le même bateau que nous, et nous dessus, propose Mat. J’aime beaucoup l’idée. Mais la tension monte au fur et à mesure qu’on approche et la légèreté s’évanouit. A 8 miles, on scrute aux jumelles le mât, petit trait vertical sur l’horizon. La GV est hissée. A la VHF, Rapscaillon finit par répondre. Un homme, seul, assez âgé. Il est blessé au doigt, son pilote ne marche plus, il doit rester à la barre et sa VHF n’a presque plus de batterie, réduisant sa portée. « I’m very tired », nous dit-il, la voix faible et vacillante. J’ai des frissons partout.
On transmet les infos à las Palmas, qui ne peuvent pas envoyer d’assistance tant qu’il ne la demande pas expressément. L’homme ne répond plus. Il sera suivi sur l’AIS jusqu’à son arrivée au sud de Gran Canaria. Mission accomplie pour nous : on fait demi-tour et on reprend notre cap au 250°.
Pauvre homme !! J’ai vraiment senti la peur et la fatigue dans sa voix. J’espère de tout mon cœur que ça ira pour lui. Cet épisode me rappelle que des petits soucis peuvent devenir des gros, en mer. Tout peut être beaucoup plus compliqué, immense et éprouvant, seul sur l’eau… Je pense à Étienne, qui a fait seul cette traversée de l’Atlantique.
17h30
Les corps sont éprouvés, je me sens chelou. Ils doivent se faire au rythme. S’habituer à une gravité toujours changeante. C’est épuisant au début, surtout les chocs des coques ont parfois pour effet de me couper la respiration.
Lundi 21 novembre 12h00 – Transat jour 4. N24°01’82 W021°12’82
Le vent tourne vers les 70°. Les fameux alizés s’installent ! On a empanné il y a deux nuits pour descendre plus au sud, pour éviter une bulle sans vent [celle dont j’ai parlé précédemment…]. La mer est plus calme qu’il y a deux jours. La fatigue des quarts et des mouvements perpétuels m’a quand même filé un bon mal de crâne qui s’est soldé pendant ma watch par un bon petit vomi ! Sympa bonne nuit !
Les paris commencent à se faire ici. Combien de bateaux on va voir d’ici notre arrivée ? J’ai dit 6 [spoiler alert : on en a vu au moins 20]. Bientôt, on pariera sur notre date d’arrivée ! Une tournée à payer pour le plus éloigné…
Mardi 22 novembre – Transat jour 5. N21°50’33 W022°51’75
Les poissons volants ont fait leur première apparition tout à l’heure. Sordides produits de la création, dotés d’ailes et d’écailles ; faute de choisir entre nager ou voler complètement, ils ont opté pour les deux, en sautant entre les vagues pour fuir les prédateurs. J’en ai pas encore assez vu pour déterminer mon niveau de scepticisme à l’égard de leur existence, mais tout le monde s’en tape finalement, eux les premiers. En tous cas j’aimerais bien goûter les futurs malheureux qui rendront l’âme en s’échouant sur cette anomalie océane qu’est Beyond. Histoire de manger quelques habitants de l’océan, qui pour l’instant échappent aisément à notre pauvre appât poulpe rose fluo…




Pour ajouter aux rares créatures aperçues, ce midi, ce n’est pas un poisson ou cétacé ou oiseau aquatique en tout genre qu’on a vu – et qu’on aurait pu voir « ordinairement »… Non non, c’est une CHOUETTE. Une chouette blanche comme je n’en ai jamais vue à terre, bringuebalée et épuisée par le vent, qui est venue se poser deux secondes sur le bateau. Mais que bordel foutait-elle ici, j’ai pas la moindre idée de la logique implacable des océans qui a mené sa trajectoire au beau milieu des Canaries et du Cap Vert. Selon Rico, un grain l’aurait probablement égarée… Bien égarée oui. La pauvre, je donne pas cher de sa durée de survie dans ce milieu dénué d’arbres que seules ses ailes peuvent rendre un peu moins rapidement meurtrier…







D’ailleurs, en parlant d’arbres, j’ai presque oublié à quoi ça ressemblait.
Mercredi 23 novembre – transat jour 6. N19°44’96 W024°33’51
Aujourd’hui, victoire de la ligne : premier poisson péché ! Petite merveille, une dorade coryphène colorée. Mais c’était un bébé… Dans l’excitation de la pêche, Rico l’a tué mais on aurait dû le relâcher. Pardon poisson… On saura t’apprécier cru, mariné dans du citron, du gingembre et de l’ail.
Jeudi 24 novembre – transat jour 7. N18°16’87 W025°35’75
Ce midi, alors que je m’acharnais à trier ces milliards de vidéos, Émilie crie aux dauphins. Je claque mon ordi, enfile un gilet de sauvetage plus vite que s’il y avait le feu et je cours presque sur le pont. Ça faisait longtemps ! Les joyeux lurons sont à la fête, une quinzaine d’entre eux.

Ça fait une semaine que nous sommes en mer… Peut-être ma plus longue nav ? Les journées s’enchainent. Je me dis que c’est quand même cool d’avoir passé maintenant plus de trois semaines avec des gens en huis clos sans avoir envie de s’entretuer.
Soir.
Tandis que je barre distraitement de la main gauche sur une mer calme, j’écris cette note de la droite en admirant le soleil blanc doucement descendre dans son lit de nuages ouatés qui chapeautent l’horizon depuis quelques jours. Les poissons volants sautent de vague en vague, rasant leur surface ; le bateau continue sa route sud. On empanne demain, pour l’ouest. Les sargasses, ces algues venant d’on ne sait trop où, sont apparues et prolifèrent dans nos eaux fendues [elles prolifèreront même très bien, nous empêchant de pêcher jusqu’à la fin de la transat !! Ces sargasses filasses qui passent et s’amassent nous agacent].


Dimanche 27 novembre – transat jour 10. 1700 miles de l’arrivée. N15°49’59 W030°39’14
Changement d’heure. Alors que je débarquais à ma watch de 7h30 les yeux à moitiés fermés, un pied encore dans un rêve, Christophe me dit d’aller me recoucher : on a atteint le 20e degré ouest, on recule d’une heure. Pauvre Mattéo, c’est tombé sur lui : 2h30 de barre au lieu d’1h30… Je change de partenaire de quart : je serai avec Janet puis Rico au lieu de Christophe puis Rico ; C veut « resserrer la vis » du steering d’Émilie en se mettant avec elle…
Mardi 29 novembre – Transat jour 12. N15°50’16 W035°21’61
Cap toujours au 280°. Mer : agitée. Météo : toujours belle, quelques nuages. Vent : force 5/6 (20 nœuds en moyenne). Vitesse : en moyenne 6 nœuds, rien qu’avec le génois, donc environ 140 miles avalés par jour. Bref, ça bouge pas trop, les conditions sont bonnes.
Hier soir, on a passé le milieu de la transat ! Et qui dit milieu, dit baptême. Et oui aujourd’hui, Émilie, Mattéo et moi allons avoir droit à un gentil bizutage des flots atlantes – Janet l’a préparé, je ne sais pas à quoi on va avoir droit ! [et donc ce baptême consistait en une série de jeux, de quizz etc. super sympas, ponctué par l’ouverture du champagne, pour enfin lancer des lettres à la mer ! Si chou de la part de Janet ! Une occasion de relancer l’ambiance à bord un peu morose, après un coup de colère de Christophe – la crise de Cuba de la traversée.]

Mercredi 30 novembre – transat jour 13. N16°04’83 W037°23’83
Un peu fatiguée du présent, lassée. Petite forme, et même si ça passera et que je ne doute pas que le reste va passer vite, je pense à la perspective d’arrivée…Cette transat va se rallonger. Bientôt, on aura moins de vent et on ne pourra pas trop y échapper. On va finir probablement au moteur, et on arrivera pas avant le 10 ou le 11 à la Barbade. 24 jours de transat… Et, une fois arrivés, le rangement et le nettoyage du bateau. Puis, l’inconnu.

Jeudi 1 décembre – transat jour 14. N15°42’38 W040°15’03
Rone pleine balle dans le casque. J’écris à l’arrière-bâbord face à l’océan. Cumulonimbus rose et cotonneux devant. Peut-être qu’on va se le prendre. J’espère… Chaque grain est le bienvenu. Hier, ils ont pimenté mon quart de nuit. Ils approchaient puis nous traversaient quand je barrais. Merci. Ils cassent la monotonie ; comme à leur habitude, la mer et le vent remettent les choses à leur place.
Décembre. Noël et les fêtes en approche, le froid, les doudounes, la nuit tôt, les dernières semaines de cours, la famille… Et ici, perdus dans l’océan à cette latitude, décembre signifie : dernier tiers de transat, passage des 1000 miles à destination, tapis de sargasses deviennent moquettes, chaleur torride que le vent faiblissant atténue de moins en moins… Décembre. Bientôt trois mois depuis mon départ.
Le vent est descendu autour de 12 nœuds. L’accalmie mordante enfonce la traversée dans la torpeur, étirée par la fuite sans fin de la fin de l’odyssée. Les 8/10 jours à l’arrivée sont les mêmes depuis quelques jours.


Dimanche 4 décembre – transat jour 17. N14°41’95 W044°57’82
C’est pétole molle. La mer est pas aussi lisse qu’avant les Canaries, y’a pas cette longue houle, c’est une pétole différente, plus plate. C’est beau à voir. C’est silencieux, ça change énormément de pas avoir le vent et les vagues toujours dans les oreilles. Place au ronronnement du moteur (et qui dit moteur dit pilote auto ; les quarts sont plus cools). La lune est revenue, aux 2/3 pleine. La nuit prend une autre dimension. Elle est d’autant plus immense sans l’agitation de la mer qui venait l’animer. Me procurant vraiment une sensation d’immaculé, elle me laisse constater que tout est parfait, ici, quand on n’y est pas et qu’il n’y a personne pour juger de cette perfection. Le cosmos, l’équilibre divin. Rien de plus ou de moins. L’horizon plat, la Lune pour l’éclairer, quelques étoiles et nuages, et voilà. Le calme absolu.
Hier matin on a vu des dauphins avec Janet pendant notre quart du matin, mon préféré. C’était fou, dans cet océan qui commençait à s’aplanir. Ça faisait longtemps, et je me doutais pas qu’on pouvait en voir à 100 miles des côtes ! Le matin, c’est d’autant plus un cadeau. Le jour est fraichement levé, tout est silencieux et éternel, l’équipage dort encore, et moi je contemple cette joyeuse apparition qui enjolive la journée…
Lundi 5 décembre – transat jour 18. N14°35’07 W046°44’01
C’est la première fois que j’écris pendant un quart, à la lumière rouge de la frontale, et c’est plaisant. Tout est calme, sauf le cliquetis de la bôme et l’éternel bruit du moteur. On se traine à 4,5 nœuds, le vent monte à 8 nœuds max.
On s’est baigné.e.s hier !! Si on écarte la pression de se faire engueuler au moindre pas de travers (genre plonger puis attraper la corde de la bouée au lieu de la prendre directement en main), c’était fou. Lieu d’immersion du corps dans l’eau complètement inédit. J’ai coupé le moteur, Christophe a plongé pour vérifier les deux engins, puis ce fut notre tour deux par deux. Moi qui croyais nager de toutes mes forces au loin puis revenir, telle une triathlète… Que nenni, innocente. On a dérivé d’un demi-mile (1km) en 30 minutes !

Ce qui m’a frappée le plus pendant cet arrêt, au-delà du fait de se baigner dans l’infini sans possibilité de concevoir des distances – aux côtes, aux fonds – c’est le silence. Ce silence parfait, seulement brisé par nos voix et les quelques bruits restants du bateau. J’avais jamais réalisé en fait, mais dans un océan plat, sans vagues et sans vent, quel son pourrait-il rester au beau milieu de l’Atlantique, à 1000 miles de toute civilisation humaine ? J’ai compris alors que nous traversions un véritable désert. Les mots de Rico prenaient tout leur sens. Un désert plat, immaculé, mouvant. Un désert liquide.
J’aurais voulu prolonger ce moment, faire qu’il dure, que tout le monde se taise – voire disparaisse complètement. Être seule dans l’insaisissable immensité, pour essayer d’en saisir une bribe, qui sait… Essayer de ressentir dans mon corps, ma tête, mes tripes, ne serait-ce qu’une once de cette grandeur inconcevable pour nos pauvres et riquiquis esprits humains.
Bref, toujours est-il que j’ai pu expérimenter à mon échelle ce silence immense et que j’en suis ravie. Position de la baignade : N14°40’69 W045°18’99.
Mardi 6 décembre – transat jour 19
Là, ça y est. On rentre dans le vrai décompte de la fin. Normalement, on sera arrivés dimanche -mais bon, je m’avance pas, le vent sait nous surprendre (comme maintenant, où on se tape un sud-ouest dans la gueule, précisément là où on veut aller. WTF ? allo les Alizées, on fait quoi les girls ?).
J’ai trop de trucs à faire avant d’arriver, c’est la merde ! (article pour Econogy sur le bateau, écrire ce compte rendu de la transat pour mahautloin […]) [HAHA ! je l’ai tellement jamais écrit à ce moment-là !]. Bref, je trouve le moyen d’être surbookée après presque 3 semaines au milieu de l’océan.
L’approche de la fin, comme je l’avais imaginé, me fait apprécier la routine. Parfois, ça me frappe et d’un coup, je suis grisée d’être en mer, si loin de tout. Je réalise que mes humeurs sont souvent corrélées à l’état de la mer et du vent. Quand le temps change, il vient briser une certaine monotonie de pensées, renouveler mes sensations, affuter mon sentiment d’être, ici. Une mer plus douce et plate m’apaisera, dans un état propice au calme et à la contemplation. Quand elle grossit et que le vent forcit soudainement, par exemple pendant un grain, je prends pleinement conscience du bateau et de la nav. Alors en prenant de la vitesse à la barre, je jubile, je palpite même si le cata étouffe la sensation de la mer. On se sent vivante.
Mercredi 7 décembre – transat jour 20.
Le ciel est magnifique. Des nuages par milliers filtrent les rayons du soleil depuis l’horizon, chacun à leur manière. Le bleu du ciel qu’ils laissent parfois apparaître, le blanc iridescent des nuages léchés par l’astre solaire, le gris sombre de ceux qui en sont privés, le jaune des rayons qui s’imprègnent dans des couches légères de brume, constituent un tableau incroyable. Spotify m’ayant fait un superbe doigt d’honneur en se déconnectant tout seul et me privant de ma si précieuse musique, j’écoute du reggae marquisien téléchargé depuis les MP3 de Christophe. Je goûte à une nouvelle ivresse de la mer que seule la perspective d’une l’arrivée proche peut raviver de cette manière. L’AIS nous donne maintenant une estimation d’heure d’arrivée… Dans 4 jours a peu près, on y est. Ouch. On est jamais prête.

Vendredi 9 décembre – transat jour 21
C’est plus ou moins sûr, on arrivera lundi. Quelle longue transat !! On touche au bout mais la fin a un gout d’éternité.
Les bateaux qu’on rencontre à foison sur l’horizon me donnent envie. Le ton des voileux avec qui on a un contact VHF laisse transparaitre l’état d’esprit de nav tant adoré sur Adishatz et que j’ai hâte de retrouver. Des kiffeurs sur petites coques en veux-tu en voilà.
A l’approche de l’arrivée, beaucoup de questions sur le futur émergent en moi. Combien de temps vais-je rester à la Barbade ? Comment ça va se passer ? Ou vais-je dormir une fois Beyond quitté ?
En attendant, je m’efforce de vivre chaque moment à fond, en mettant de côté ce qui peut me polluer. Kiffer.
Samedi 10 décembre – transat jour 22
Ouahhh c’est bon là, on va arriver putain. Dans quoi, 36 heures même pas ? A partir de demain midi, on watche à fond pour capter les pécheurs, bouées et objets de la côte en tous genres. On sera tous en mode arrivée. La pleine mer, ça finit. Ça fait bizarre !! La vie va reprendre après cette bulle, cette anomalie spatio-temporelle.
Aujourd’hui était magnifique. Pétole lisse x longue houle. Pas un pet d’air. Janet a ouvert la capote du cockpit, c’était beau. Christophe a mis de la musique après avoir affalé la GV, inutile dans ce non-vent. Émilie m’a coupé des cheveux. On se marrait avec Mat.
Et là ce soir, WOW. Un cadeau signé la fin de la transat. L’eau lisse reflétait un coucher de soleil rouge et pur, tandis qu’on slalomait non pas dans un banc de sargasses, mais dans une MER. A l’horizon, j’ai capté des bandes noires ; j’ai cru à des reliefs de rides de vent, mais c’était bien ces alguasses à profusion. Ça rajoutait un élément au tableau somptueux de ces couleurs explosives et de ces contrastes ronds et pleins si spéciaux, que permettent ces zones sans aucun vent pour rider l’eau. Et là, derrière une trainée sargassienne, se révèlent à nos yeux des tribus de tout petits dauphins, peut-être en chasse, qui sautaient dans ces reflets incroyables, leur silhouette noire se détachant sur le festival de roses, jaunes, oranges et bleus clairs. C’était complètement fou, extatique.
Mais c’est pas fini. Le spectacle pré-dodo du show-man que l’on nomme soleil, qui durait et durait, a finalement laissé place aux étoiles apparaissant vite en même temps que le bleu nuit. On avait une visibilité incroyable. Le taureau éclatait, Mars et Jupiter également, la totale. Étoiles filantes en balle, mais pas n’importe lesquelles : des super longues, avec leurs grandes trainées de quelques secondes. Splendide. Et pour ponctuer le tout, un lever de lune rougeâtre – qui a eu la décence d’attendre une petite heure après le coucher du jour pour nous laisser admirer la voûte céleste. Son reflet sur l’océan a progressivement effacé le reflet des étoiles (oui oui !).
J’oublierai jamais ce cadeau, ce feu d’artifice pour notre dernière nuit encore loin des côtes…
Lundi 12 décembre – transat : 25 et dernier jour
Teeeeeeeerre en vue !! Arrivée prévue au port : 8h. De quoi laisser le temps aux Barbadois de se réveiller. Comment c’est, là-bas, en fait ?? La question se fait plus concrète, pour la première fois. J’ai hâte de voir le vert de la végétation… Bordel, on arrive aux Caraïbes !
Après le dîner de ce soir, on était tous là, dans le cockpit ou sur le roof. La fatigue ne compte plus : seule l’adrénaline de l’arrivée est de mise, une certaine euphorie collective. On a fait une dernière séance de yoga avec Janet, sous les premières étoiles. Je commence à connaitre le spectacle, maintenant. C’était chouette, ce dernier soir, entre franches rigolades avec Janet et Mattéo, et dernière contemplation du ballet cosmique.

C’est la dernière fois que j’ai écrit en mer sur Beyond.
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Sensation incroyable d’arriver par la côte. Une fois que le mec de la marina eut confirmé à la VHF qu’on pouvait s’amarrer au port, j’ai eu une bouffée d’excitation et d’adrénaline incroyable, mon parbat volant dans les mains. Les verts des palmiers et des bandes de sable blanc se sont rapprochés : merde, on est aux putain de Caraïbes et on vient d’y arriver par bateau. Euphorie vite calmée par le nettoyage intégral du bateau mais peu importe ; j’espère que ces terres me promettent du vif et de l’intense.
Quelle explosion submersive de sensations en arrivant à terre ! Après trois semaines en mer, il s’agit de se réhabituer aux odeurs, à l’agitation, aux sons et surtout aux êtres humains autres que nous !! Tellement d’informations me parviennent que je ne sais plus comment les traiter, d’autant plus que le rhum punch barbadois enfoncent un peu dans le brouillard à l’arrivée. J’ai été frappée par ce contraste qui ne m’a laissé aucun temps pour respirer et emmagasiner cette expérience folle.
Nous voilà, une semaine après mon arrivée à terre. Semaine plutôt concentrée sur le nettoyage iinnnnnnterminable du bateau (polish je te hais) qu’on a dû refaire en Martinique. Car oui, on est pas restés à la Barbade : Christophe & Janet ayant terminé leurs RDV pour leurs visas pour les US, on a filé jeudi en Martinique.
Les choses se sont enchaînées. Je suis toujours avec Émilie et c’est hyper cool, puisqu’on voit un peu le voyage de la même manière – on a pris un logement chez l’habitant ensemble pour se poser quelques nuits après avoir quitté Beyond. Mais je n’ai pas encore pu justement retrouver une solitude souhaitée après tant de temps en proximité. La transition n’est pas encore faite, d’autant plus que mes plans restent très flous pour la suite : en l’absence de service civique pour Econogy, à quel point suis-je contrainte par ce projet pour faire mes plans ? Quelle dynamique de voyage adopter, où dormir sans raquer ? En fait, je reste en Martinique là, ou je me casse en bateau à la première occasion ? Comment doser entre découverte de la culture et schedule pour renaviguer vers le continent ? Et si je restais toute l’année dans les Caraïbes ? Qu’est-ce que je veux, en fait ? C’est un peu le bordel et je n’ai pas encore les réponses, d’où mon aspiration à une solitude passagère pour y voir plus clair.
Pour conclure sur l’expérience de la transat, je me suis posé beaucoup de questions sur le comportement à adopter en tant que bateau-stoppeuse. A quel point on doit s’adapter ? C’est la principale. A quel point accepter ce qui n’est pas vraiment acceptable, à quel point doit-on se plier aux règles du capitaine sans les discuter, si elles sont insensées ? Quelle part de responsabilité collective doit-on porter en tant que participante implicite à la communauté des bateux-stoppeur.ses ? Car les associations sont vites faites : si l’expérience se passe mal pour le capitaine, il n’en reprendra pas à son bord, et c’est bien dommage.
J’ai aimé cette expérience avec un grand OUI, malgré les difficultés et les tensions, desquelles je sors grandie dans ma gestion des frustrations, des conflits et de mes possibilités à vivre une expérience de bonheur et de paix intérieurs malgré ce qui me tracasse, en voyant les bons côtés… c’est par où le nirvana ???
A grand tantôt mes choux. N’hésitez pas à m’écrire <3
Mahi Mahi ! …. : serait-elle Mahaut Grandie par ce séjour au désert de la mer ????? Que la création est belle …. et , s’immerger dans cette immensité, au propre et au figuré…… se baigner au milieu de …rien, ou peut-être tout… : quel tournis ça doit donner…..
Tes photos sont belles !
Comme tu sais bien être au contact , traduire et comprendre l’océan d’émotions qui se succédaient en toi dans cette « coque de noix » (excuse-moi Beyond, mais au miieu du Pacifique, tu dois faire l’humble).
Bravo ma chérie, je t’embrasse tout doux très fort
C’est un grand plaisir de te lire ma chérie, on a l’impression de partager un peu ce voyage (initiatique) avec toi et d’en sortir assagi(e)… hate de lire le fruit de tes reflexions sur la suite que tu vas donner à l’histoire
Je t’embrasse fort!!
Wahouuuu je viens de quitter l’univers de la bibliothèque universitaire pour te rejoindre un instant dans ce voyage incroyable! ( j’en ai eu les larmes aux yeux)
Je t’imagine au milieu de l’océan avec Rone dans les oreilles, la Horde du contrevent ( qu’un ami m.a d’ailleurs offert à Noël, hâte de le lire !) et ton calepin!
Tellement heureuse et tellement fière d’avoir une personne comme toi pleine d’énergie si positive et de toujours arriver à voir le meilleur en les autres
Heureuse aussi pour ton corps qui doit t’avoir remercié pour l’arrêt de la clope et de l’alcool Ahaha :))
je t.envoie pleins d’amour de l’autre côté de l’océan et te remercie de me faire voyager intérieurement, le plus beau des cadeaux