â›” Projets et escapades outre-Atlantique en 2022-2023 🌎
Mois : <span>octobre 2023</span>
Mois : octobre 2023
Mis en avant

Rio Dulce, le retour

Salut Ă  toi lecteur.ice de ces aventures d’un temps dĂ©sormais rĂ©volu. Le temps qui passe, d’autres pĂ©ripĂ©ties estivales, la procrastination et le retour Ă  une vie citadine dont le tourbillon m’aspire comme si je ne l’avais jamais quittĂ©e, m’ont Ă©loignĂ©e du rĂ©cit de mes voyages. Mais je le mĂšnerai Ă  son terme, jusqu’Ă  mon retour en juillet 2023, et qui sait plus loin encore, pour qu’ils vivent encore. Si tu veux te rafraĂźchir les idĂ©es sur ce que je peux bien foutre encore Ă  zoner Ă  ce Rio Dulce dont tu as peut-ĂȘtre maintes fois lu le nom, tu peux jeter un Ɠil au dernier article en date, qui relate mon sĂ©jour au Paredon en mai : https://mahautloin.danchald.com/2023/07/09/andado-el-camino-mai/

1 juin 2023. Rio dulce. Mon dernier conducteur, un dĂ©putĂ© guatĂ©maltĂšque qui m’a fait un peu conduire sa voiture, me laisse devant la marina. Je remercie encore une fois, sors ma mochila et claque la porte. La moiteur du Rio ne m’avait pas manquĂ©. La chaleur Ă©tait intense au Paredon, mais moins humide. Petite pensĂ©e nostalgique Ă  Barbas, avec qui j’étais Ă  cet endroit mĂȘme quand j’avais quittĂ© le Rio. Il y a dĂ©jĂ  plus d’un mois.

Souvenir de notre arrivée au Rio et sa luxuriance.

La Ram, marina oĂč dorment les bateaux des garçons, rentrĂ©s en Europe, cĂŽtoie Nanajuana ; c’est lĂ  oĂč je vais. Le bateau de Justine y est. Le plan ? l’y aider pendant les quelques deux semaines suivantes, avant qu’elle ne rentre en France renouer un peu avec les racines. Ça fait deux ans et demi que cette sacrĂ©e meuf est partie en bateau-stop et vit un demi-milliard d’aventures des CaraĂŻbes jusqu’au Guatemala, oĂč elle est arrivĂ©e en flottille elle aussi. J’avais dĂ©jĂ  parlĂ© de son projet dans des chapitres d’avant. Elle s’est lancĂ©e dans la rĂ©novation d’un voilier en acier qu’on lui a donnĂ©, Lady OcĂ©ane, sur lequel elle s’est investie pendant plus d’un an avant qu’on lui donne / troque un autre ketch (voilier Ă  deux mĂąts) moins abĂźmĂ©. Je ne me lancerai pas dans tous les dĂ©tails de ses projets qui ont pas mal changĂ© ou Ă©tĂ© bousculĂ©s (Ă©videmment, c’est un projet de bateau, comment pourrait-il ĂȘtre stable ?), sa chaĂźne youtube le fait trĂšs bien ; toujours est-il que je vais l’aider Ă  retaper la Baleine Blanche, le voilier sur lequel elle veut mener des projets communautaires et inviter des Ă©quipier.es Ă  trouver leur voie intĂ©rieure.

Je dĂ©barque donc sans savoir Ă  quoi m’attendre, n’ayant pas trop communiquĂ© avec elle. Je m’imagine la marina vidĂ©e de ses habitants partis pour Ă©viter la saison des pluies, ayant laissĂ© leurs bateaux au sec pour tenir la saison des cyclones. En effet la marina fait un peu fantĂŽme. La plupart des bateaux attendent des travaux supplĂ©mentaires, certains sont prĂȘts pour retourner Ă  l’eau, d’autres sont abandonnĂ©s. Tellement d’histoires dans ces marinas
 C’est sans croiser de monde que je passe voir les bateaux des garçons. Les bĂąches sont toujours bien installĂ©es, mĂȘme celle de Goelhan qu’on avait foutue bien Ă  l’arrache avec Martin. Le bordel laissĂ© au pied des bateaux plus d’un mois auparavant tĂ©moigne seul de notre passage ici – une de mes tongs, une casserole, une serviette et quelques outils trainent dans la poussiĂšre, vers l’Ă©tabli qu’Arthur avait construit en 2 temps 3 mouvements. Le calme rĂšgne.

Nouvelle communauté de gypsies

Quelques heures plus tard, alors que je migre Ă  Nanajuana, je retrouve Justine. En fait, elle est pas du tout seule ! Je rencontre Gus, un Français jeune arrivĂ© il y a quelques semaines ici et ayant sorti son bateau
 juste Ă  cĂŽtĂ© de celui de Ju. Il sort d’une Ă©popĂ©e assez unique depuis l’Europe, Ă  la fin de laquelle il a frappĂ© aux portes des ports de toute l’AmĂ©rique centrale pour dĂ©barquer un jeune HaĂŻtien qu’il a aidĂ© Ă  quitter son pays, encore une histoire de fous que je passe de dĂ©tails mĂȘme s’ils en vaudraient grave la peine. Entre leurs bateaux, je dĂ©couvre un camp de gitanos bien cool, cuisine, hamacs et tout le toutim.

LĂ  dĂ©barquent deux jeunes aux yeux brillants, Ă  l’énergie abondamment solaire et Ă  la dĂ©gaine bohĂšme. C’est Gerem, un Barcelonais parcourant le monde depuis 9 ans en stop, et Nikky, une Australienne danseuse d’une folie malicieuse. Ils viennent de traverser le continent depuis le Canada en stop et Gerem est un vieux copain de Justine. Bien sĂ»r, Ă©norme coup de cƓur pour tout ce monde qui deviendront des potes importants pour moi.

VoilĂ  comment dĂ©bute ce nouveau sĂ©jour au Rio Dulce, encore une fois avec de biens jeunes et inspirants parcoureurs des mers et des terres, chevauchant la vie avec comme mots d’ordre l’aventure et la libertĂ©. Tout ce que j’aime. Et c’est pas tout
 Un peu plus loin dans la marina, un autre groupe de six croqueurs de vie est lĂ , Ă  prĂ©parer aussi un bateau. Ju avait dĂ©jĂ  naviguĂ© avec quelques-uns d’entre eux, tout est reliĂ©. Ils s’apprĂȘtent Ă  traverser l’Atlantique tardivement pour retourner en Europe, les cales remplies de cacao. Ici au Guatemala, le cacao est considĂ©rĂ© comme une mĂ©decine spirituelle, une plante puissante qui ouvre le cƓur et cĂ©lĂ©brĂ©e lors de cĂ©rĂ©monies. Leur but, ramener le cacao dans des lieux qui sauront en faire bon usage en Europe. Leur embarcation, c’est Friendship, un cata communautaire minimaliste, bien roots, sans moteur ni Ă©lectricitĂ© avec une vieille Ăąme. On compte aussi dans l’équipe Alejandro, un jeune Mexicain bohĂšme qui joue du djembĂ© dans des bars pour continuer financiĂšrement son pĂ©riple, qui vient de se voir donner un petit voilier tout chou, Flex, par LĂ©o et Pilou, deux des Ă©quipiers du cata qui l’avaient achetĂ© une bouchĂ©e de pain en Martinique. Bref comme d’hab peut-ĂȘtre qu’on comprend rien expliquĂ© comme ça, mais y’a tellement d’histoires, de connexions et de relations entre elles que ça fait vite des jolis bazars Ă  raconter.

Je suis ravie de retourner au monde de la voile. Ça m’avait bien manquĂ© et rencontrer tous ces gens me conforte dans mon opinion sur eux/ elles : des aventuriers hardis qui me donnent des idĂ©es dans tous les sens et une Ă©nergie folle d’aller plus loin, plus profond dans la vie et ses projets.

« Ces gens-lĂ  me fascinent. », j’Ă©cris au 3 juin. « C’est le mot. Je suis tellement admirative. Ils ont une Ă©nergie complĂštement atypique et positive et dans une profondeur qui me prend presque malade de ne pas pouvoir me perdre dedans. Je voudrais des heures et des heures Ă  connaĂźtre chacun d’eux. Le mĂȘme genre de frustration de ne pas pouvoir m’y plonger, faute de temps, que celle que je ressentais au Liban. »

Travail vacances

 J’arrive pleine de dĂ©ter pour me saigner Ă  bosser sur le bateau de Ju, motivĂ©e Ă  fond pour apprendre tout un tas de trucs et me servir de mes MAINS. Mais Justine traverse une pĂ©riode pas facile pour elle, une espĂšce de burn-out des bateaux qui l’a poussĂ©e Ă  prendre un break au Paredon et un billet d’avion pour la France. Faut dire que dans ses projets dingues, elle avait Ă  un moment trois bateaux Ă  gĂ©rer. Bref, elle doit doucement fermer le chantier, j’arrive pas au pic de l’activitĂ©. Bon. Mais Gus aussi a besoin d’aide pour repeindre son bateau ! Allez, on s’y met quelques jours oĂč j’apprends Ă  le dĂ©couvrir. On se lĂšve tĂŽt pour Ă©viter les chaleurs, on mange des Ɠufs avec le cafĂ© et on se fout dans la peinture aux effluves d’acĂ©tone sous le soleil assommant avec les dĂ©cibels Ă  fond sur sa petite enceinte. Justine avance lentement mais sĂ»rement dans les soudures de son bateau, Nikky et Gerem commencent Ă  traiter le bois de sa future table de carrĂ© pour le peindre
 Le rythme est tranquille, l’ambiance est super cool, on fait des bonnes bouffes vegan – Nikky et Gerem le sont. Le soir, on joue pas mal de musique, je vais chercher les instruments de la Joia (bateau de Jordi) pour alimenter nos jams. Je dors en hamac sur le pont de la Baleine Blanche, de toutes façons il fait trop chaud et il y a des moustiques de partout. Cette chaleur, putain
 On sue tellement qu’on ne fait jamais pipi, on a si chaud qu’il faut tout le temps boire des sodas de merde en canette pour survivre, trois glouglous cul-sec et ça s’évapore de nous instantanĂ©ment. 

Puis fait tellement chaud que ça dĂ©motive Ă  s’activer. De 10h Ă  17h on se traiiiine
 Alors le week-end venu (eh oui on respecte les jours de la semaine de travail apparemment), on monde une expĂ©dition fraicheur pour fuir l’asphalte de la marina et faire un break. L’Ă©quipage du Friendship sera de la partie. On part en stop Ă  une cascade oĂč j’avais dĂ©jĂ  Ă©tĂ© avec LoĂŻc et sa toute nouvelle moto quand on Ă©tait arrivĂ©s au Rio. Sauf que cette fois-ci on va tous y dormir, au frais ! ArmĂ©s de casseroles et de hamacs, on passe de nuit au site de la cascade pour pas qu’on nous attrape – c’est interdit de camper ici. On allume un feu Ă  cĂŽtĂ© de cette magnifique chute d’eau chaude oĂč on se baigne nu.es, on s’installe pour cĂ©rĂ©monier autour du cacao et de champis. Magique nuit. On est si bien le lendemain, plus haut dans la riviĂšre fraĂźche Ă  chiller au calme avec la nature abondante, qu’on prolonge d’une deuxiĂšme nuit notre camping. Coup de vif quand Gus se fait mordre par un serpent, l’excursion se termine pas bien pour lui qui doit dĂ©camper – littĂ©ralement – Ă  l’hĂŽpital. MĂȘme si le serpent a pas eu le temps de lui injecter son venin, on le dĂ©fonce aux anti-venin au cas-oĂč : il aurait pu nĂ©croser voire mourir s’il avait la substance mortelle de la barba amarilla dans le sang.

Puis on rentre au bercail, on continue Ă  faire notre taff. Moi je gĂšre la rĂ©ception du nouveau dĂ©marreur du moteur de la Joia, quelques petites choses, puis je me mets Ă  traiter la rouille des cales de la Baleine Blanche. J’apprends Ă  utiliser la meuleuse, le pistolet Ă  aiguille et la brosse et plein d’autres trucs et produits bien toxiques, j’apprends les Ă©tapes pour virer cette foutue rouille, hantise des proprios de bateaux en acier. J’apprends aussi Ă  quel point c’est loooong
 Pour une petite partie seulement, je mets deux jours de taff ! Je suis dĂ©ter donc je m’y mets Ă  fond, enfermĂ©e dans le four qu’est le bateau, ventilo Ă  fond, casque anti-bruit sur les oreilles, bandana sur le nez pour pas avaler toute la rouille, pistolet Ă  deux mains, en essayant de pas pĂ©ter un cĂąble Ă  chaque fois que l’électricitĂ© bien merdique de la marina saute et m’oblige Ă  courir des allers-retours sur l’échelle pour tout rebrancher. C’est toute une logistique et une installation
 Je comprends maintenant la temporalitĂ© de la rĂ©novation d’un voilier. Tu prĂ©vois une durĂ©e donnĂ©e pour le retaper ? Ça en prendra le triple. C’est tout. Un voilier c’est plein de merdiers et d’imprĂ©vus. Mais en tous cas j’adore. Je suis toute crado mais je vois physiquement un avancement et ça, c’est toujours gĂ©nial.

On continue Ă  approfondir nos liens. Gerem impulse la construction d’une table communautaire en bambous dĂ©jĂ  coupĂ© et « empruntĂ© Â» dans la jungle derriĂšre la marina. Le campement se mĂ©tamorphose et commence Ă  ĂȘtre vraiment bien foutu. Une Ă©nergie artistique se dĂ©gage de notre groupe et me donne envie de jouer plus, de dessiner, de me reconcentrer sur cette partie de moi.

Anecdote bonus : un jour, je prends un des kayaks de friendships pour aller me balader une aprem, kayaks qu’ils avaient rĂ©parĂ©s mais pas trop trop bien apparemment : aprĂšs 1h d’exploration de canaux du Rio, je commence Ă  couler et me fais sauver par la lancha d’une famille guatĂ©maltĂšque qui passait par lĂ .

Retour sur l’eau avec Flex

Avec notre aide, Justine prĂ©pare son bateau Ă  l’hivernage. Comme moi, elle fait tout en stop et a l’intention de rejoindre Cancun d’oĂč son avion partira, par la force du pouce. Elle quitte le chantier et le Guatemala, et je prends les choses en main pour faire un truc que j’ai pas fait depuis deux mois et qui me manque profondĂ©ment. Un truc que tout le monde fait ici et qu’il nous est possible de faire grĂące Ă  ce qui appartient maintenant Ă  Alejandro
 je parleeeeeee bien sĂ»r de se mouvoir sur l’eau avec un bout de tissu qui se gonfle avec le vent ! Ça fait deux semaines qu’on essayait d’organiser une excursion Ă  la voile mais ça traĂźnait pas mal, Justine Ă©tant le liant de nos groupes et ses plans Ă©tant trop changeants. Alors hop lĂ , je motive Gus, Nikky, Gerem et Ale, on prend des provisions et on bouge sur Flex. Direction on sait pas trop, mais on dĂ©cidera sur le coup de viser Cayo Quemado, c’est la baie dans le fleuve oĂč on avait mouillĂ© Ă  couple avec la flottille avant d’arriver Ă  Rio Dulce.

Flex est au fond du mouillage de la marina, ce qui rend sa sortie assez technique puisqu’il faut tirer des mini bords entre plein d’autres bateaux avant d’ĂȘtre dans le fleuve. Une fois qu’on lui a montĂ© toutes ses voiles, qu’on a bu un petit coup de rhum pour fĂȘter le dĂ©part, on entreprend de le sortir complĂštement Ă  l’arrache. J’ai jamais vĂ©cu un moment autant lunaire sur un bateau. On s’agite Ă  tirer le petit voilier avec le dinghy tout pourri de Gus (qui coule Ă  moitiĂ©, Ă  chaque fois qu’on monte dedans on a de l’eau jusqu’aux genoux) dont Gerem essaie de maitriser le moteur capricieux pendant qu’on s’efforce tant bien que mal de tirer un premier bord avec Gus. C’est la premiĂšre fois que je navigue un voilier sans moteur et ça rend la chose bien plus technique et challengeante ! J’adore. Mais je m’égare puisque lĂ , c’est grave le bordel, personne ne maĂźtrise trop la chose et c’est lĂ  que Tristan dĂ©barque sur sa lancha (petite barque Ă  moteur), ce pote allemand avec qui on Ă©tait au Paredon et au Salvador ! Ca n’étonne personne qu’il apparaisse tel le Messie Ă  ce moment-lĂ  oĂč on est tous en galĂšre, la scĂšne devait ĂȘtre bien comique de l’extĂ©rieur – de l’intĂ©rieur aussi.

Il nous tire d’affaire en nous tractant pour de vrai avec son moteur bien plus adaptĂ©, et alors qu’on s’apprĂȘte Ă  se diriger vers l’est, on tombe sur LĂ©o, Pilou et Clem qui rentrent de la ville en kayak. Hop-lĂ  on les embarque et ils s’amusent Ă  faire des ronds dans l’eau – les pauvres, ils ont tellement hĂąte de se casser en transat. Puis ils sortent puisque quand mĂȘme, on a quelques miles Ă  faire face au vent et il est 18h – on Ă©tait censĂ©.es partir le midi. Bref, on s’embarque finalement pour une nav de nuit. Qui s’avĂšre ĂȘtre gĂ©niale. On est tous excitĂ©s comme des poux d’ĂȘtre sur l’eau ensemble. Nikky cuisine avec Ale dans un aqua Ă  l’intĂ©rieur, on prend la barre Ă  tour de rĂŽle et je tombe complĂštement amoureuse de ce petit bateau si pratique et si facile Ă  prendre en main. Avec Gus, on prend toutes les dĂ©cisions ensemble, il est bien plus expĂ©rimentĂ© que moi mais n’est pas du tout dans l’over control. Je me sens trop Ă  l’aise niveau navigation et suis vraiment contente de voir que je peux Ă  peu prĂšs tout gĂ©rer !

Et puis j’exulte. Retourner sur l’eau me provoque une grosse perche de dopamine. On glisse sur les eaux plates du fleuve dans le silence de la nuit, un orage au loin derriĂšre, le doux plafond des Ă©toiles, la brise du vent de face que j’avale de tous mes poumons. Puis un bon grain, je me prends la flotte cĂ©leste Ă  la barre avec Gus, et je ris fort de cette scĂšne que seules ces conditions peuvent offrir : Ă  l’intĂ©rieur, Gerem et Ale qui jouent une partie d’échec bien calmement, pĂ©tard Ă  la main dans une ambiance presque mystique Ă  cĂŽtĂ© de Nikky qui dort ; dans le cockpit, Gus et moi en train de se faire tremper jusqu’aux os et de jouer aux maracas avec les Ă©lĂ©ments. L’intĂ©rieur d’un bateau est dĂ©finitivement un endroit spĂ©cial, cocon coupĂ© de la tourmente du monde et des vents. Deux salles deux ambiances comme on dit. Ah, qu’est-ce que je me sens vivante sur un voilier. A un moment, tout le monde dort un peu de partout, et c’est moi la seule Ă©veillĂ©e Ă  la barre, la privilĂ©giĂ©e Ă  qui appartient ce moment d’éternitĂ©. Puis Gus Ă©clate ma bulle et vient discuter.

On finit par mouiller avant Cayo ; il est 3h, il continue Ă  pleuvoir et il y a plus de vent
 j’arrĂȘte de m’acharner. On finira demain matin. Tout est fluide. Au final, on y reste la nuit suivante au lieu de rentrer direct au Rio. On est bien, au calme, l’intĂ©rieur de Flex est si bien foutu qu’on y rentre tranquillement Ă  5. A Cayo, je retrouve Anna, une QuĂ©bĂ©coise adorable que j’avais interviewĂ©e au Rio et qui habite lĂ -bas. Elle nous montre les environs en lancha avec son copain guatĂ©maltĂšque, et tous les petits recoins des canaux Ă©voluant dans la mangrove et les nĂ©nuphars aux fleurs incroyables. C’est tellement beau.

Au retour pour Rio Dulce, on attache notre dinghy (une vieille planche de surf) Ă  l’arriĂšre de Flex et on surfe tirĂ©s par la force des voiles en ciseaux, gonflĂ©es par le vent d’est. Il fait beau, on est sur un beau nuage.

Mais il faut rentrer, Nikky et Gerem doivent bouger en Argentine pour le taff de Nikky et moi aussi. Ca fait quelques semaines que je suis au Rio, Gus aussi va dĂ©caler d’ici peu, Justine n’est plus lĂ  pour que je l’aide et mon retour en France approche ; il est temps que j’aille explorer d’autres cĂŽtĂ©s du Guate que le Rio Dulce et le Paredon
 Bref, il faut donner le clap de fin.

Et le clap de fin fut savoureux. A peine arrive-t-on au coucher du soleil Ă  Rio Dulce, le cƓur encore rempli de belles choses, que l’équipage du Friendship nous invite Ă  bord faire la fĂȘte. Dans les effluves de ti-ponch, on sort nos instruments comme d’habitude et je vis la MEILLEURE jam de ma vie. On aurait pu sortir un album, tout le monde Ă©tait tellement bon dans ce qu’iel jouait. Comme habitĂ©e par le groupe et l’instant, je frappe la derbouka avec un plaisir dĂ©licieux partagĂ© dans la symbiose collective. Mais bien que gravĂ© dans l’éternitĂ©, ce moment n’existera que dans nos pauvres mĂ©moires si mallĂ©ables et dĂ©sagrĂ©geables – personne n’a ni enregistrĂ© ni filmĂ© la scĂšne. L’art, le prĂ©sent, l’art du prĂ©sent. C’était tellement bon qu’on s’est retrouvĂ©s Ă  la fin hagards, le sourire aux oreilles, complĂštement stones de cette vibration musicale. Un plongeon dans l’eau et un rhum cacao nous ont rendu la parole.

La navigation de Flex fut le point culminant de mon second passage au Rio, la touche d’intensitĂ© parfaite pour me donner un souvenir impĂ©rissable de mes ami.es et pour me mettre dans cet Ă©tat nostalgique que j’aime tant, celui qui accompagne la fin des chapitres forts. Ces quelques semaines m’ont donnĂ© cette Ă©nergie de vivre dont le voyage a le secret, cette gniaque presque enragĂ©e qui habite en entier lorsque l’on vibre avec les autres autres et leur vĂ©cu, Ă©nergie furieuse de ne pas pouvoir animer plusieurs vies simultanĂ©es. Je me suis sentie tellement inspirĂ©e, tirĂ©e vers le ciel par ces aventuriers fous que rien n’arrĂȘte avec qui je me sentais Ă  ma place, lĂ  oĂč je devais ĂȘtre. LĂ  oĂč je devais apprendre, nourrie de la voile, des habitants de son monde et tout ce qui gravite autour.

Je repars le lendemain en stop, comme d’habitude. Mais cette fois, je suis entourĂ©e de deux potes pour lesquels aussi, le stop est coutume installĂ©e. On part avec Nikky et Gerem direction Guatemala city, d’oĂč ils partiront en avion – dĂ©goĂ»tĂ©s de devoir le faire, et d’oĂč je continuerai seule. Mon objectif : le mythique et mystique lac Atitlan, entourĂ© de volcans, terre de feu aux ancĂȘtres mayas et dont les habitants perpĂ©tuent encore les rites et cultures. Qu’est-ce que je vais y faire, je sais pas encore, mais trois semaines seulement me restent avant de retourner Ă  ma vie française.

Hasard peut-ĂȘtre, mais on se fait dĂ©poser Ă  la nuit tombĂ©e au mĂȘme endroit oĂč j’avais campĂ© avant d’arriver au Rio Dulce. Sous la pluie, on retourne Ă  cette maison plus ou moins abandonnĂ©e pour y passer la nuit, avant de se sĂ©parer le lendemain. (Je passe mĂȘme les dĂ©tails du stop maintenant, terrible comment on s’habitue. Ah tiens non, petite anecdote cadeau : on s’est fait conduire par un coyote, un passeur qui Ă©tait sur le retour de la frontiĂšre du Mexique, et qui nous a pas mal parlĂ© de son travail illĂ©gal.) Gerem et Nikky me font cadeau d’un collier qui a traversĂ© le monde, je lui ferai voir encore plus de paysages. On s’étreint. On se reverra c’est sĂ»r. Ils m’ont marquĂ©e.

Et moi, de migrer vers un tout nouvel endroit, le sac sur le dos, le cƓur ouvert j’espĂšre, dĂ©terminĂ©e Ă  ce qu’une apothĂ©ose me tombe dessus pour la fin de mon pĂ©riple