
Article écrit en juin. Dans le dernier chapitre, j’avais parlé de notre arrivée au Rio Dulce en avril, de notre taff sur les bateaux à la marina, puis de notre départ pour le Paredon, village de surf sur la côte Pacifique du Guatemala. J’avais laissé le récit au Salvador, d’où tous mes copains des bateaux sont partis rejoindre l’Europe en volant…
« Y tu andas sola ? », entends-je de la bouche de mon conducteur une fois de plus. Faut dire qu’une jeune comme moi, une femme, le pouce tendu au bord de la route et prête à sauter dans n’importe quel trailer, les camions ultra bruyants des routiers guatémaltèques, ça pose question. Et surtout dans ces pays où selon ces mêmes bouches, le danger est partout. La vérité, c’est que j’adore voyager seule, et que l’insécurité que me provoque l’absence de co-aventurier renforce la liberté que je ressens en contrepartie. « Eres casada ? », renchérit-il. Non merci, pas de mari et pas non plus d’enfants, je lui crie entre dans le vacarme TARATATATATATA du frein moteur. Mais dans mon pays, tout ça se passe plus tard, j’explique une fois de plus avec un sourire. Les réactions sont souvent marrantes parmi les véhicules dont j’agrémente ma présence grâce au bon cœur de leur conducteurs. Fascination, ébahissement, encouragement ou une amusante indifférence totale, en passant par l’incompréhension profonde de la réalité de mon existence et de mon voyage… un joli éventail que j’aime explorer. D’ailleurs, ma vie stable de Française privilégiée en quête de piment ne me permet pas non plus d’appréhender la réalité de la vie de mes conducteurs, mais nos trajets communs m’en donnent juste un aperçu, une tranchette fine comme une tortilla. Nos vies n’ont tellement rien à voir. Mais l’aléatoire, la grande loterie de l’univers, les fait se rencontrer le temps d’un trajet. Le stop renoue l’altérité. En tendant le pouce, on lance la roulotte en y ajoutant l’improbable.


Dans ce trailer dans lequel j’alterne entre mini-sieste et discussion avec José, Fernando, Luiz ou qui sais-je, je suis probablement en route pour le Rio Dulce, ou le Paredon. Les deux lieux du Guate qui m’auront bien collé aux baskets. Mais je n’ai pas toujours été seule à tendre le pouce ! On aura aussi bien trippé avec Nico au Salvador, une fois que toute la troupe est partie et qu’on s’est retrouvé.es tous les deux pour deux petites semaines d’aventure. Après un épisode de KO technique de notre duo à la capitale pour cause de transit liquide, on est parti explorer le nord du pays à coup de stops.



On traverse des endroits perdus, on se retrouve des après-midis entiers dans des rivières avec des locaux qui nous partagent allègrement leur barbecue et leur rhum dominical, on se fait accueillir une fois chez une famille salvadorienne pour la nuit, on se retrouve coincés dans des bars avec des Salvadoriens bourrés mais de qui dépend notre transport, on marche dans des endroits perdus… Les paysages défilent devant nos yeux, postichés presque toujours à l’arrière de pick-ups qu’on attend pas bien plus longtemps que deux minutes. C’est une première pour moi de découvrir un pays avec un copain d’avant, il me semble bien.





Les Salvadoriens sont tout heureux de voir les deux mochileros tous pimpants que nous sommes sillonner leur pays, celui-ci s’étant ouvert seulement depuis deux ans : un nouveau président a mis un terme à l’insécurité qui caractérisait ce pays en foutant – tenez-vous bien – plus de 60 000 présupposés membres de gangs en taule. Un problème ? une solution. Vous avez dit droits humains ? chhhht. En attendant, même les Salvadoriens qui ne sortaient pas un orteil, découvrent leur pays. Certains complètent leurs explications pendant qu’on roule, en nous montrant des endroits où les gangs zonaient et pouvaient les dépouiller. Tous ici ont des histoires de disparus dans leur entourage, nous dit-on. Sacré pays. En tous cas, le stop n’a jamais été aussi facile, et les Salvadoriens battent des records d’amabilité et de mignonnerie. On relèvera ce conducteur de bus qui ne nous fait pas payer, cet autre qui s’arrête avant même qu’on demande un ride… C’est aussi bien sympa de tripper avec un copain familier.





Ça, c’était en avril. Ou en mai. Ça fait bien longtemps que j’ai pas écrit, même mes petites notes à moi-même ; peut-être la fin du voyage en mer a-t-elle tari mon envie de relater, mon besoin de coucher des impressions par écrit. Les moments où j’en avais le plus envie de toutes façons, c’était en mer. Peut-être aussi me suis-je laissée happer, trainer par les évènements sans prendre vraiment le temps de voir ce qu’ils provoquaient en moi, ce qu’ils me faisaient ressentir. A vrai dire, je suis passée par une phase moins cool, où j’étais un peu perdue dans mon voyage sans savoir trop quoi en faire. J’étais libre de tout, d’ouvrir n’importe quelle porte, d’aller où bon me semble, mais sans trop de but. Mon travail pour Econogy, auquel je me raccrochais pour me donner un objectif quand la tension de l’aventure baissait, n’était plus : les deux gérantes du projet se sont avérées complètement inactives, occupées par leurs études et projets respectifs. Déçue de ce coup d’arrêt dans mon élan d’idées relatives à Econogy, je n’avais plus qu’à faire face à l’infinité de possibilités dans mon aventure, le temps décuplé par l’absence de cadre que pouvait apporter ce projet. Me voilà à prendre mes doutes en pleine face, à moi qui n’avais jamais aimé avoir de limites. C’est rassurant en fait d’avoir une direction, hein ?
Ce moment malaisant de choix à faire dans la brume de l’infini s’est surtout posé à cet instant, à la fin du Salvador. Petite baisse de régime. Je décide sans grande conviction de retourner au Paredon, où j’étais avec les pirates après le Rio Dulce. Ma motivation ? Rider les vagues comme une déesse sur ma planche de surf laissée là-bas par les garçons. Bon la réalité fut un peu différente, mais l’intention était là. J’ai aussi envie de nouer avec cet endroit qui m’a l’air tout plein de potentiel, et que la vie en groupe ne m’avait pas trop permis de capter. Bam bam, je refais le même trajet et je remonte avec une chouette Canadienne, pote de Nico rencontrée deux jours avant notre séparation. Nico, lui, est parti au sud vers le Nicaragua continuer son baroudage. Je retourne sur cette route en sable que j’aime tant qui mène à ce petit village de paradis, encore un peu épargné de la grosse touristisation.


Ca y est après une petite floppée de véhicules, d’histoires de gens, d’anecdotes en plus et un comedor (endroit où on mange) offert par une famille, je suis là. Il me faut trouver un endroit pour mes pénates sans devoir me mettre à manger des cailloux – le Paredon, c’est cher. Je me rends chez Fernando, le Guatemaltèque qui gérait la maison qu’on louait avec les copains. Tout sympa le Fernando, il m’avait proposé de mettre mon hamac chez lui quand je reviendrais. C’est pas possible maintenant pour lui, dommage. Je balaie l’horizon du regard et je m’arrête sur un endroit dans lequel vit un couple qu’on avait connu la dernière fois. Je vais aussitôt les voir et nos discussions aboutissent à un accord : je paierai une dizaine d’euro pour une semaine pour avoir mon endroit – je vais pas appeler ça une chambre, c’est une mezzanine dépourvue de murs et de portes dans un hostel désaffecté un peu crado (que j’apprendrai être l’ancienne maison close du Paredon pour la petite anecdote). En échange, je les aide 3-4 heures par jour dans la cabane qu’ils viennent d’ouvrir où ils préparent des repas à base de poisson, posée sur la route principale du village. Deal. En bref, j’arrive vraiment dans une ancienne puteria saugrenue tenu par les barons de la drogue du Paredon mais franchement, c’est beaucoup plus marrant qu’un de ces volontariats dans un de ces hôtels nickels qui te fournissent trois bons repas par jour mais pour lesquels il faut bosser 7 heures.



Voilà comment je me retrouve maîtresse fish&chips à aider Laura et Benny tous les soirs à la caseta. Je me lie rapidement d’amitié avec Laura surtout, une Salvadorienne adorable. Je rencontre plein de monde par ce biais.



Je retrouve aussi Justine, celle qui a son bateau au Rio Dulce et que je projette d’aller aider dans sa rénovation. Elle connait du monde là-bas qu’elle me présente, et je rencontre des femmes qui habitent au Paredon – Française, Québécoises, Espagnole… toutes assez bad-ass qui ont construit leur maison sur les terrains qu’elles sont achetés ici quelques années auparavant. Elles sont super cool, inclusives et inspirantes et je suis heureuse de me lier avec des gens qui font partie du paysage d’ici plutôt qu’uniquement des backpackeur/ses. « Je crois que la vie en ce moment m’amène des femmes comme guides et comme figures d’inspiration », j’écris. Après tant d’énergie masculine dans mon voyage, les femmes et leur vibration prennent leur juste place dans mon entourage. Parfois, ce sont des rencontres très passagères mais marquantes, comme celle de cette Alaskienne de l’âge de ma mère venue manger à la caseta. La connexion fut vraiment profonde, à un moment de baisse de moral. « Elle avait des yeux bleus lucides et qui transparaissent cette force qu’elle émanait des tripes. Notre discussion était simple et profonde. « You’ll be fine in life », m’a-t-elle affirmé de sa puissance posée. J’en ai presque eu les lames aux yeux. Soudainement je me sentais à ma place, dans cette caseta à faire des fishs and chips, dans ce pays. » On s’est étreintes, remerciées et ce n’était plus qu’un souvenir.



Les vagues sont vraiment mauvaises ; à l’approche de la saison des pluies, elles se font difficilement surfables. Des murs gigantesques (des verde comme les appellent les locaux) se dressent et se cassent dans des mousses que j’ai du mal à prendre puisqu’elles se reforment dans une vague qui casse juste à l’entrée de la plage (shore break) et qui te fracassent en haché sablé dès que t’essaie de rentrer ou de sortir de l’eau. Bref, la galère. La première semaine, je persiste et m’acharne même si je suis la seule à l’eau, mais bien souvent c’est inutile et très frustrant. J’ai parfois des meilleures sessions, mais les conditions ne suivent vraiment pas. Et puis un beau vendredi, alors que je plonge pour amortir une mousse, je sors la tête de l’eau et je découvre ma planche en deux morceaux. La vague l’a coupée comme un banana cake. Ce qui devait arriver arriva : la planche pesait 50kg, je sentais bien qu’elle absorbait plein de flotte par ses nombreux trous, et Jean l’avait déjà réparée plein de fois depuis la Rep Dom. C’est même pas la peine de la faire réparer, me dit Jordi au téléphone à qui j’annonce la mort de la Malibu. Toute déçue, j’estime que ça symbolise un peu la fin de mes efforts ; plus je vais essayer dans ces conditions, plus je vais être frustrée et avoir l’impression de régresser. Marcos, un local, me propose trop gentiment d’utiliser son longboard quand je veux ; je le fais une fois mais c’est peine perdue. Le Paredon, je reviendrai pour tes vagues un jour pendant la bonne saison, vers décembre.
L’énergie du Paredon m’aspire vite. Au bout d’une semaine, j’ai l’impression d’y habiter depuis le triple. Travailler ici m’amène une approche différente au lieu. Je me lie d’amitié avec Chaloupa, un vieux Guatémaltèque qui vit dans l’étrange endroit dans lequel je me suis retrouvée, Freedom hostel. Il me raconte sa mère suicidée et son épouse décédée il y a quelques années, autour d’un plat de frigoles con arroz y aguacate cuisiné ensemble. Il a quelque chose de touchant et d’attendrissant dans sa malice et son innocence. Elizabeth, une jeune et improbable Américaine qui voyage au Guaté avec ses valises et son chat pour trouver un endroit où s’installer, est là elle aussi et j’apprécie sa personne authentique et particulière. Il se passe des trucs pas toujours nets ici, des histoires entre le dernier résident de ce lieu, Brooklyn, et les jeunes du village, et Benny qui vend des produits, enfin bref je comprends pas toujours là où j’ai atterri mais je me marre plutôt bien.

En trois semaines, je vois passer beaucoup de gens qui m’apportent, je fais la fête parfois, je surfe, j’écris, j’ai mon socle, ma vie, mes habitudes et mes petits trucs auxquels je m’attache. J’aime tellement rentrer le soir dans le silence des rues de sable avec en arrière fond le bruit des vagues. J’aime les soirées tranquilles chez l’une de mes amies. J’aime ce gâteau à la banane que m’avait montré Justine qu’ils vendent à la seule boulangerie à seulement 2 quetzal (25ct). J’aime courir faire un plouf dans les vagues intenses juste avant d’aller travailler à 17h. J’aime boire des cafés (gratuits en plus) le matin au Cocori, un hostel bordant la plage. J’aime parfois aller seule à la plage le soir sans rien dire à personne. J’aime les fish & chips. J’aime siester dans mon hamac installé dans ma mezzanine. J’aime les feux sur la plage avec les copains. J’aime Gaby, Léa, Nathan, Ailine, Momo, Eliza, Pépita, Marcos, Fernando, Manon, Lola et d’autres encore…

Puis c’est le moment de partir. Ça fait une semaine que je surfe plus. Justine est déjà repartie au Rio Dulce depuis dix jours et j’ai pris la décision d’y retourner pour aller l’aider sur son bateau, avant de vadrouiller ailleurs. Alors c’est les dernières soirées, le dernier feu sur la plage, les au revoir, et puis je fais mon sac et je retends le pouce encore une fois sur cette fameuse route du Paredon. Au revoir à ce lieu si spécial.






30/05. « Hier, je me suis endormie sous le toit d’une maison vide, dans mon hamac sous ma moustiquaire, à écouter un orage juste au-dessus de moi. J’étais à Rio Hondo, un bled du milieu du Guate, traversé par l’autoroute qui mène au Rio Dulce et que je foule une fois de plus. J’ai marché un peu dans l’obscurité de la nuit déjà tombée pour trouver un coin ou me mettre tranquillement et je suis tombée sur cette maison éclairée, entourée d’énormes manguiers aux fruits charnus, et d’orangers dont les fleurs embaumaient le lieu avec les restes d’un feu. J’étais bien. J’ai trouvé une astuce pour fabriquer une corde avec ce que je pouvais pour pendre ma moustiquaire et le tour était joué. Il me manquait plus que d’allumer un bedodo. Je me sentais libre. Je peux tout faire. Il suffit simplement que je le décide. »
Prochain chapitre : Rio Dulce 2
Merde… déjà terminé… je reste sur ma faim… trop court..
Ping :Rio Dulce, le retour - Mahau.t.loin