
Article commencé le 10 janvier
Holà holà holà ! Saoufé ?
J’essaie de rester régulière sur ces petites news de l’aventure, mais qu’est-ce que c’est dur ! Ca demande vraiment une discipline que j’ai bien du mal à m’imposer, d’autant plus que le tourbillonnement des rencontres et de l’imprévu m’embarque complètement, me laissant parfois exsangue, sans me laisser la possibilité de digérer et de prendre du recul sur les rebondissements du trip…
J’ai l’impression de toujours introduire mes articles de cette manière, mais c’est vraiment la principale difficulté de ce blog. Trouver le temps pour s’extraire de cet enchainement et pour poser des mots dessus. Mais ça en vaut le coup ; pour moi, ça m’aide à garder une certaine lucidité, et je suis contente de vous embarquer avec moi ! D’ailleurs un gros bisou pour tous vos petits messages, vos partages, vos mots, qui me touchent énormément et me poussent à continuer !
Un mois maintenant depuis que je suis arrivée de transat. Un mois qui, évidemment, en parait le triple…
Nous voilà de retour le 15 décembre. Nous débarquons en Martinique avec l’équipage de Beyond après deux jours rapides passés à la Barbade. Je découvre le Marin avec des étoiles dans les yeux, plaque tournante incontournable des Caraïbes pour toute embarcation à voile. C’est un mouillage dans le sud de la Martinique, attirant des voiliers des 4 coins du monde. Contrastant avec tout ce qu’on a vu pendant la transat, là-bas, que d’obstacles à éviter ! Bouées, casiers, planches à voiles qui foncent, bouées de chenal, dinghy, bateaux partant du mouillage pour rejoindre d’autres destinations, d’autres y débarquant depuis des horizons plus ou moins lointains – l’Europe ? l’île à côté ? Intense effervescence, sentiment d’appartenance à un monde qui m’était inconnu deux ou trois mois auparavant, envie de découvrir chaque embarcation et équipage… Je me souviendrai longtemps de cette arrivée.

Encore déphasés par la petite navigation entre la Barbade et la Martinique, Émilie, Mattéo et moi oscillons entre la découverte du rhum martiniquais – que j’apprends difficilement à aimer… et le nettoyage de Beyond. Deux jours après, nous partons du bateau ; Christophe et Janet nous font bien comprendre qu’ils ont besoin de se retrouver un peu solo sans la colonie à bord. La transition est un peu brutale mais je la comprends : j’ai aussi besoin de souffler. Avec Émilie, on se suit chez Édith, une métro (petit nom bien répandu ici en Martinique pour désigner les métropolitains, par différence avec les Martiniquais) à la retraite à laquelle on loue une chambre dans sa maison, dans les hauteurs de Sainte Luce. On y arrive complètement éclatées, un peu perdues, sans avoir rien prévu à manger ; Édith offre son repas du midi comme une grand-mère aux deux déchets que nous sommes. Je sais pas si elle s’est rendu compte à quel point le calme de sa maison et la paisibilité de l’entourage a été salvateur et réconfortant pour nous à ce moment-là de doutes et de fatigue pour moi.
On traverse l’épisode finale de la coupe du monde de foot, de laquelle on était complètement déconnectées. Ah la France est en finale ?? Cool on sera en Martinique pour l’évènement !!



On voit le match en plein air, je me rapproche rapidement de la fanfare locale, on me fout une grosse caisse dans les bras et c’est parti ; je finis avec des belles ampoules tant c’était physique de tenir le rythme. Émilie se fait aborder par un Martiniquais chaleureux ou en chaleur, la frontière est floue, qui nous fait après la défaite voir quelques plages sympas du coin. On termine dans un reggae bar pas encore ouvert mais dans lequel on goûte des ponchs, l’herbe et la cuisine locales avec des rasta.



On étend notre séjour chez Édith quelques jours, le temps de bien recharger les batteries. C’est à ce moment-là que je me pose les questions que je partageais dans mon dernier article sur la suite des évènements…Quelles doivent être mes priorités ? Je continue à correspondre avec les filles d’Econogy mais je décide de pour l’instant suivre le flow, de découvrir un peu l’île, et d’essayer en parallèle d’investir l’incroyable réseau de voiliers que je me fais petit à petit, pour trouver une embarcation jusqu’au continent américain.
D’ailleurs, ce réseau, Étienne n’y est pas étranger. Il me conseille d’appeler Fanch, un ami à lui qu’il avait rencontré dans ses pérégrinations antillaises, qui pourrait peut-être avoir des contacts de bateaux ou un bout de canapé… Et en effet, c’est un matelas gonflable dans son salon qu’il nous propose plusieurs jours, à Émilie et moi. On rencontre aussi Alix sa copine. Les deux sont d’une générosité et d’un accueil incroyables que je n’aurai de cesse de découvrir en Martinique. Peut-être est-ce un mélange des températures clémentes, de l’état d’esprit antillais ou voyageur et de l’énergie générale de l’île, mais les gens ici sont ultra serviables, tranquilles, métros comme martiniquais. Jah love.



On commence à sortir de notre torpeur avec Émilie, pour découvrir l’île, sa végétation luxuriante, ses plages superbes et ses reliefs déroutants que l’on sillonne dans la jungle. Notre duo se fait de lui-même par accord tacite ; arriver sur terre me fait découvrir d’autres de ses aspects et commencer cette aventure antillaise ensemble nous rapproche beaucoup. En même temps, c’est si facile avec elle. On a pas besoin de se concerter pour se mettre d’accord, tout coule de source, on est dans la même vision du voyage et des rencontres – autrement dit, on est dans le même délire clochardo-shlag-squat-aupireondortsurlaplage. C’est fluide, on commence à avoir passé pas mal de temps ensemble, à bien rigoler et à se connaitre un peu. C’est agréable d’avoir un pilier, même temporaire, dans l’aventure ! En même temps, on se laisse vraiment la liberté mutuelle de suivre nos plans respectifs sans se coller. C’est parfait pour nos besoins d’indépendance.





Doigts en l’air
Le stop était déjà notre religion commune, mais il le devient encore plus ; la Martinique est grande et on tend le doigt (et non pas le pouce : coutume locale) pour chacune de nos excursions. Globalement, ça durera tout le mois : aucune idée du nombre de voitures qu’on aura explorées mais je dirais quand même une centaine. Parfois, le soir, on essaye de retracer qui nous a prises mais c’est souvent un exercice impossible. Quand on ne part pas du même endroit, on ne prend même plus la peine de se raconter nos trajets, aussi improbables soient-ils. Les profils sont si différents et variés ! Certains trajets sont plus marquants que d’autres. On se fait souvent évangéliser, draguer, inviter, raconter des histoires de bateaux ou de voyages…On est prises avec une facilité sans pareille et je continue à adorer découvrir un endroit par les gens qui le peuplent et qui, dans leur individualité, le créent communément. Ils me font découvrir bien plus vite une terre dont j’aurais bien moins appréhendé la réalité si j’avais ma propre voiture. On discute pas mal avec Émilie, du fait qu’on nous donne énormément, sans qu’on ait du concret à offrir en retour. La réponse, je pense, est dans la gratitude : il faut rester dans cet accueil simple et pur de la générosité de l’autre, en s’appliquant à le rendre d’une autre manière. Mais c’est difficile de ne pas normaliser ces comportements altruistes quand on voyage de cette manière, tant ils sont courants ! Aussi, je me fais la réflexion qu’on recherche chez les gens qui nous accueillent la stabilité et la prévoyance qu’on fuit par le voyage. Eh oui, on veut quoi, en fait ? Être accueillies dans une maison, avec une machine à laver, une cuisine, être transportées avec la voiture de quelqu’un qui fait le même trajet tous les jours pour aller au taff… C’est amusant de constater ce paradoxe.
Le stop nous permet aussi – enfin surtout à moi, Émilie connaissant déjà un peu la Martinique – de comprendre un peu plus ce lieu chargé d’histoire, entre les anciennes civilisations le peuplant (les Arawis puis les Caraïbes), la colonisation et l’évangélisation, puis l’esclavage dont les séquelles ont aussi pétri la culture et la mémoire collective antillaises. Bref, c’est une toute nouvelle terre que je découvre et tout ce qui va avec – je n’avais pas du tout imaginé arriver en Martinique. J’avais pas imaginé grand-chose après la transat, en fait. A part le continent sud-américain, qui me paraît encore bien hors de portée à cette heure.
Il serait trop long et fastidieux de décrire chaque rencontre et chaque âme croisée sur ma / notre route, même si certaines vaudraient l’effort. Je me concentrerai sur celles qui ont accompagné des épisodes notables. J’en profite pour remettre le lien de mon Polarsteps ici, où – en théorie – j’écris chaque jour de façon plus détaillée.
Bien vite, après notre séjour chez Fanch et Alix et donc 10 jours après notre arrivée, Émilie part faire un woofing chez un gars qui a un grand jardin de plantes médicinales. Ça a l’air génial et j’hésite à la suivre, ça fait longtemps que j’aimerais acquérir une connaissance du vivant pour être capable de faire pousser autre chose que des cactus – et encore, c’est à peine si j’arrive à les maintenir en vie. Mais ma place n’est pour l’instant pas sur terre ; j’ai soif de bateaux et de nouvelles expériences de navigations, de retour sur des monocoques. Je trouve un plan par la bourse aux équipiers pour descendre dans les Grenadines (des îles en dessous de Saint Vincent, mais wait je vous met une carte pour les égaré.es des Caraïbes) avec Yann, un capitaine qui fait venir un couple en croisière pour leurs vacances et pour lui, arrondir sa fin de mois. Départ prévu le 26 décembre. Je suis toute excitée de revenir à la voile pour un nouvel épisode venteux.

Nwèl
A Noël, alors que les retrouvailles familiales se profilent partout autour de moi (pensées à la famille réunie à Annecy), je suis assez détachée de l’impératif de regroupement inhérent à la naissance de Jésus. On verra bien ce que la journée et la soirée me réserveront, et tant pis si c’est pas grand-chose d’extraordinaire (t’inquiète Maman, j’étais pas seule pour Noël 😉). Je me réveille une dernière fois chez Fanch et Alix, qui habitent d’ailleurs le rez-de-chaussée d’une maison bordant la plage à l’anse Mabouya, et j’entends au loin des tambours. Keskecé ?? Un baptême, sur la plage, me glisse Fanch. Ni une ni deux, j’attrape ma caméra et mon micro, et je file checker ça. Et bah wow. Si j’avais été baptisée comme ça j’aurais peut-être fini en monastère. Quelle ambiance !! Les Martiniquais et leur culture créole ont le sens de la célébration heureuse. Ça chante, ça danse, ça joue de la musique avec des instruments tous plus intrigants les uns que les autres, ça loue le ciel en tapant des pieds dans le sable, les baptisés en blanc dansant au centre du groupe. Je reste au moins une heure à admirer cette essence heureuse de vie et de vibration commune.



L’aprem, je prévois une rando avec Émilie dans le sud de l’île. On se retrouve sur place, je stoppe avec une fille super intéressante, Anaïs, qui réalise des films et qui allait retrouver un date tinder, Nico, qui a son bateau à Saint Anne, pour la même rando. On décide de la faire ensemble. Ils sont équipés de hamacs et de victuailles pour un super bivouac de Noël sur la plage des Salines bordée de mangroves. C’est très tentant de nous joindre à eux pour la nuit, mais dans notre prévoyance évidemment nulle, nous ne sommes en possession que de mon appareil photo bien sûr, de deux bières et d’une quiche surgelée qu’on mangera crue avec eux sur leur campement. Bref, après un apéro riche en histoires de voyages et d’anecdotes d’aventures, on décide de rentrer en stop au woofing d’Émilie où je squatte pour la nuit. On assiste donc au Nwel des autres, tant dans les voitures qu’on prend que dans les rues qu’on traverse, entre la bande de jeunes qui va squatter à la station-service du coin toute la nuit, la famille créole qui joue du tambour dans son jardin, les métros qui rentrent de retrouvailles familiales… C’est un Noël particulier, mais tant qu’à être loin du reste du monde, autant en faire jouir mes observations sociologiques.



Le lendemain au 25, on est invitées chez Fanch et Alix pour une bonne bouffe / barbecue / champagne dans l’eau – de Noël avec une dizaine de leurs copains. C’est super sympa, je rencontre des copains de Fanch (qui bosse sur les bateaux) qui connaissent des bateaux-stoppeurs que je connais aussi, bref, les connexions se font. En dix jours, je commence à connaitre du beau monde à la Martinique !!
Grenadines

Puis c’est l’heure de la parenthèse dans l’aventure martiniquaise : je file à Sainte Anne sur le bateau de Yann, pour mettre les voiles cap au Sud. Je découvre un personnage pas mauvais mais assez aigri, désabusé de la vie, qui ne m’apporte pas la bienveillance et la douceur qui me manquaient sur Beyond et dont j’ai besoin, comme source de stabilité et de réconfort dans ce perpétuel trimballement. Je rencontre le couple parisio-genèvois qui peuplera le voilier pour cette épopée d’une semaine, avec lequel je n’ai pas vraiment d’atome crochu, mais sympa. Rebelote : je dois m’accoutumer de gens très différents de moi, prendre sur moi avec un capitaine pas très agréable, m’adapter et m’adapter. J’en ai marre de ça, je me pose des questions sur mes choix et me demande si la voile vaut ce sacrifice. C’est donc un beau coup de blues qui me tombe dessus sous les cocotiers de Bequia, la première île des Grenadines où nous jetons l’ancre. J’en ai assez de ne pas pouvoir être moi à 100% avec des gens qui ne font rien résonner en moi. Je veux un feu d’artifice de rencontres, d’intensité et d’idées. Je veux des jeunes, je veux de la vie, de l’enthousiasme, de l’émerveillement, de l’aventure, de la connexion. Et là, j’implose d’à nouveau devoir passer outre l’extérieur : j’ai besoin que mon intérieur soit nourri, je n’ai plus l’énergie de l’auto-alimenter pour me sentir bien. Fuck, je suis plus le dalaï lama de la fin de transat.
Je me suis toujours attachée à décrire mes aventures avec les états d’âmes qui les accompagnent, et à montrer que rien n’est tout rose, malgré les story insta… Voilà donc un des passages moins cool qui habitent les voyages et qui poussent à tout remettre en question.
Bon, après ça, ça va mieux, j’apprivoise le personnage Yann, je pose plein de questions et essaie de le cerner pour comprendre son comportement passif et monosyllabique pompant. Cette expérience de nav, par ailleurs, est ultra différente de la transat : je suis pas bloquée avec mes trois coéquipiers, on est le plus souvent au mouillage dans différentes îles qui d’ailleurs sont ultra belles. Rebelote, je vous embarque dans quelques notes au jour le jour.
29.12. J’écoute Rone, sur Union Island, la vue sur une brousse immaculée surplombée de cumulonimbus roses qui couvrent la mer. Cette île est couverte de forêts s’effaçant parfois pour des prairies d’herbes hautes dans lesquelles j’ai couru entre deux tortues sauvages. J’ai lâché une larme. Ce genre de paysages ramènent à la vie des aspirations animales les plus profondes, celles qui m’ont toujours appelée. L’île déserte dont je rêvais au lycée à chaque cours. Les Cités d’or. Le Prince des nuages. Je rêve de vivre ici quelques temps, en communion avec cet environnement, avec les vaches et les chèvres, manger les fruits des arbres. Foutre un hamac et partir quand bon me semble. Si j’avais des c… je le ferais. Mais j’ai ni hamac ni testicules.



30.12. Départ de Union. Je laisse cette île a regret. Il est 5h30. Encore embrumée, je sors dans le cockpit boire un café en constatant le calme environnant. Pas de bruit dans la baie ; la vingtaine de bateaux au mouillage et ses habitants sont silencieux. Le ciel s’éclaircit, l’aube est à nous. J’adore cette sensation d’exclusivité.
J’enlève le taux de grandvoile, je me mets à la barre. Yann remonte l’ancre et m’indique quels gaz mettre. Petit a petit, on sort du mouillage. Cap au 30°, on serre les alizées au près jusqu’à notre prochaine destination : une baie dont j’ai oublié le nom et dont je me serai volontiers passée pour explorer + cette île.
23h30. Pendant la nav de ce matin le génois s’est dechirééé aïeaïe !! Tout le tombant. J’étais seule dans le cockpit et un gros nuage nous est tombé dessus, le vent s’est musclé d’un coup et on gitait de malade. J’attendais que Yann arrive pour agir mais je voulais choquer le génois. J’aurais dû l’enrouler, my bad, mais il m’avait demandé de confirmer mes initiatives avec lui. Un gros crac, beaucoup de clac flap flap et adieu le génois, rest in peace…

Micro-siestes qui m’emmènent dans un autre monde, surveillance dans le cockpit et on arrive dans une baie à Saint Vincent. On mouille à une vingtaine de mètres de la plage de sable noir qui borde la brousse. D’ailleurs elle est bien dense cette brousse. J’ai voulu m’y enfoncer pour explorer et trouver un champ que connait Yann, mais le jour tombait et j’ai failli me perdre 20 fois (+ un insecte m’a piqué et m’a valu une cheville (oui oui) gonflée pendant une semaine).
Grosse bouffe ce soir (poisson-courge-mousse au chocolat mmmh) puis, on plonge avec Olivier pour contempler les planctons scintillants qui naissent de nos mouvements dans l’obscurité de l’eau nocturne. Merveilleux.
J’écris posée dans le cockpit, bruit de la mer et du ressac sur les rochers en stéréo. Pas chaud mais petite brise agréable quand on se prend pas le millième grain de la journée.

Passage à 2023
Au réveil, je veux descendre à terre retourner à mes explorations. « Si à 13h30 tes pas revenue, on part sans toi », m’annonce Yann avec son tact et son ironie (ou pas ?) légendaires. On quitte le mouillage après le déjeuner, 1h de nav côtière au moteur sous le vent pour arriver à Cumberland, une baie de Saint Vincent. On va passer le nouvel an ici.
Et quel nouvel an !! Je savais qu’Alix, ma copine de Sciences Po, était en charter cette semaine-là (= croisière sur des catamarans) avec sa famille dans les Grenadines. On avait pas de réseau de la semaine, mais elle m’avait envoyé un message laconique et presque codé avant de partir : nouvel an : Cumberland. Coup de bol, c’est là où on allait aussi, dans le programme établi par Yann. Sitôt arrivée, je saute à terre voir les catas qui bordent la plage pour la trouver, sans succès. Peut-être que leur programme a changé… On verra ce soir : tout le monde se réunira au Mojito Bar pour fêter la nouvelle année, tenu par Cuss, qui m’a d’ailleurs déjà servi l’élixir local cet après-midi.

Et là le soir, le miracle se fait. J’aperçois d’abord sa sœur, et je me retrouve en une fraction de seconde à serrer Alix dans mes bras. Tellement stratosphérique de retrouver le premier visage familier appartenant à ma vie « normale », à l’autre bout de l’océan, sans qu’on soit arrivées par la même manière ou dans le même but. J’en reviens pas, je suis toute émue, j’ai les jambes qui tremblent presque ! C’est lunaire, Alix, ici, quoi.
On se retrouve, on se raconte notre semestre respectif. On boit des mojitos, les locaux sont en grande forme, un grand gars nous twerke dessus, un autre gros nous fait des câlins de son envergure, la musique tonne ; la fête bat son plein entre gens de bateaux et gens d’ici. On est tous éméchés et peu de temps après notre arrivée, je connais les 3 ou 4 équipages de bateaux. Je parle à un couple jeune de tahitiens qui naviguent depuis 5 mois dans les Antilles. Ils sont géniaux. On finit dans le cata de la famille d’Alix, puis ils vont tous se coucher puisqu’ils lèvent l’ancre à 5h. Je dis au revoir rapidement, me rends pas compte que c’était si court et que je la reverrai pas avant cet été. Au final, je réussirai à déjeuner avec elle et sa famille en rentrant en Martinique, nouveau coup de bol de timing…
Puis on continue la fête à quatre dans un after sur la plage avec uniquement des locaux – ils nous ont tous couchés. Pour rentrer sur le bateau de Yann, je suis obligée de nager. Mais les deux tahitiens rencontrés me proposent de prendre leur petite annexe dépourvue de moteur (oui les rames) et de leur ramener le lendemain matin. Me voilà donc vers 4h30, encore un peu éméchée, les premières heures de 2023, à traverser la baie de Cumberland assise à l’avant de l’annexe avec ma petite rame, sous les étoiles. C’était génial.
On touche à la fin de cette semaine dans les Grenadines. Comme d’habitude, elle me semble être passée en trois mois.
Retour en Martinique
C’est l’heure du retour. Contre toute attente, Yann – qui a finalement apprécié ma présence, faut croire – me propose très gentiment de rester sur son bateau au mouillage de Saint Anne le temps qu’il me faudra. C’est parfait : pratique d’avoir un pied-à-mer, surtout pour mon backpack.
Je pense à vite retrouver Émilie qui doit évidemment me raconter ses mille aventures vécues en une semaine, mais je reçois un message de Nico qui me propose d’aller en bateau quelques jours aux anses d’Arlets avec une pote à lui, Fanny. C’est un oui. Hop, à peine arrivée, je me retrouve le soir même sur son ketch (bateau à deux mâts). Le lendemain, on part pour une petite nav’ de trois heures, pendant laquelle je monte au mât d’artimon sur la musique de Pirates des Caraïbes en passant devant le rocher du Diamant. Je me fonds dans le décor. Souquez les artimuses.


Il faut croire que je rencontre beaucoup d’âmes d’artistes par ici : Fanny est artiste thérapeute et Nico est un couteau suisse d’écriture et de peinture. J’adore nos échanges ultra enrichissants et instructifs. Je m’essaie à la pirogue tahitienne que Nico pratique depuis son enfance à Tahiti, on joue de la musique, la vie est belle. Et je souffle enfin de me retrouver avec des gens où l’échange est aussi fluide et naturel.
Après deux nuits passées avec eux, je redescends au sud en stop pour rencontrer une team très importante pour la suite…
Nouveaux horizons
Le jour-même de notre arrivée en Martinique, alors perdues avec nos backpacks dans la marina, un certain Jean apparait et nous montre la sortie. Jeune, pieds nus, le cheveu bouclé par le sel, je peux dire à postériori qu’il me convainc avant même d’avoir ouvert la bouche. Les ondes tranquilles qu’il dégage me touchent tout de suite. On discute un peu, et j’apprends qu’il compte peut-être aller au Panama dans les prochains mois sur la Joia del Mar, le bateau de son pote catalan Jordi. Ok, toi mon gars, je vais pas te lâcher, me dis-je instantanément. Les numéros sont échangés ; affaire à suivre.
J’essaie de comprendre par nos échanges leurs plans, qui ne font que bouger : ils comptent aller en République Dominicaine pour voir des potes de Jordi, puis peut-être au continent, mais rien de sûr ; ils ont pas trop de place sur le bateau parce qu’ils sont déjà quatre mais leur pote Martin va sûrement les suivre sur son Amel de 10,5m, ah et en fait y’a aussi un autre Martin qui va peut-être venir, mais le premier Martin s’arrête un mois en Guadeloupe avant de les rejoindre en Rep Dom… J’y comprends plus grand-chose, mais la graine est plantée : je prends la volatilité de leur plan comme gage d’un niveau de kiff et de liberté certain. Une chose est sûre : si je les suis, faut pas être pressée. Ça tombe bien, je commence à ne plus l’être quand je vois le nombre de bateaux-stoppeurs qui ont traversé l’Atlantique et qui cherchent maintenant à rejoindre l’Amérique du Sud depuis la Martinique. Les annonces pullulent sur Facebook et dans les bars du Marin.
Je rencontre même un couple en route pour la Colombie qui, bredouille, m’avoue renoncer à chercher depuis la Martinique, et espère pouvoir monter en Rep Dom pour trouver là-bas. Parfait ça ! J’ai quasiment rien cherché, j’ai fait une seule fois les pontons à la pire heure de la journée et au pire endroit de la marina, j’ai mis mollement un mot sur un panneau de la marina écrit à l’arrache au stylo qui a dû être défoncé par la première pluie, je songe sérieusement à aller à l’opposé de ma destination pour suivre des va-nu-pieds, mais la rencontre de ce couple rend le plan qui m’est tombé dessus finalement pas si con et incohérent. Merci les gars, par une discussion, vous avez mis le topping de la raison au choix du cœur.
Bref, je rencontre l’équipe un soir au Marin : Jordi, Jean, le fameux Martin avec qui j’irais, et la sœur et la mère de Jean qui feront elles aussi partie de l’aventure jusqu’aux Saintes (je spoile là, c’est pour le prochain épisode). J’essaie de capter mieux leurs plans mais au fond de moi, je sais déjà. Des jeunes sur des voiliers, ça court pas non plus toutes les Caraïbes, les vieux j’ai eu ma dose.
Derniers moments martiniquais
Le soir même, je rentre à Sainte Anne et je m’approche du ponton à dinghy pour faire du bateau-stop jusqu’au voilier de Yann. Mais il est 23h30, tout est mort, et y’a personne. Merde, je vais devoir nager, qui plus est avec mon téléphone en l’air sous un grain diluvien. Je me rends dans le bar d’à côté pour essayer de trouver des dinghys mais ce qui m’est offert est un groupe de gens pas mal bourrés qui prennent néanmoins ma situation très à cœur. Très vite, deux mecs d’une petite équipe de cinq / six cinquantenaires du style Les Petits Mouchoirs m’expliquent être propriétaires d’un camping à côté, et me proposent un bungalow non occupé pour la nuit. Voilà comment je me retrouve à dormir gratos sur terre pour la première fois depuis longtemps, à avoir le choix entre six lits INCROYABLES et à taper une nuit jusqu’à midi après un petit after dans le snack du camping. Gros big up à ces gens adorables, qui comme beaucoup, voient leur fille en moi.
Le jour d’après, je retrouve enfin Émilie, puis je rencontre le soir la fille d’Étienne, Guillemette, qui habite un bateau avec son copain Juju, prof de kite dans le coin. Ils mouillent dans une anse côte au vent* mais abritée, au milieu des mangroves. Ils sont seuls au monde. Leur bateau est génial, porte les stigmates des voyages de Julien. Il est magnifique, il a une âme. Alors ça me frappe, dans l’obscurité du mouillage désert, sous les étoiles, en préparant des lasagnes maisons, discutant avec eux la clope au bec : un bateau, c’est une caravane avec des voiles. Ce qu’on fait, c’est du camping sauvage aquatique en un peu plus sophistiqué. Grisant.



Je passe la nuit chez eux dans leur bateau plus cocooning que cocooning, et je retrouve encore Émilie le lendemain pour une rando, évidemment qu’on commence alors que la nuit tombe parce qu’on est incapables de s’organiser. Mais la Lune est belle et montre la voie. La fille qui nous avait amenées en stop à la rando nous propose de dormir chez elle après notre marche, c’est parti. Un jour un squat.

On est samedi. Le départ de la Joia et de Goelhan, le bateau de Martin, c’est demain, le 8 janvier. C’est un peu précipité, je commence à connaitre du monde en Martinique et je quitte à regret, mais au final, c’est pas ça qui compte. « Alors tu viens avec moi ? » m’écrit Martin. « Je crois que oui ». Yessaï, let’s go republica doiminicana !!
Je les retrouve le soir pour une dernière soirée au Marin, pendant laquelle je retrouve des bateaux-stoppeurs rencontrés aux Canaries et trois jeunes qui étaient sur un voilier rencontré à Bequia, je rencontre Anna et Louisa, les copines respectives de Jordi et Jean, qui ont l’air hyper cool, je dis au revoir (ou pas, je la trouvais plus) à Émilie. Première nuit sur Goelhan.
Et voilà. Un nouveau chapitre s’ouvre, à bord de Goelhan, le petit bateau de Martin très bien aménagé. Désolée pour la brièveté du récit et l’enchainement pas toujours fluide, mais il fallait que ça sorte !! A l’heure où je finis ces lignes, une quantité d’autres aventures sont déjà en cours…
A suivre.
* Dans les Caraïbes, les vents sont presque toujours les mêmes : Nord-Est – Est. Donc les îles offrent toujours une côte soufflée par les alizées, « au vent » et une côte « sous le vent », abritée par l’île. Ça permet de connaître sans trop de doutes les conditions de navigation entre les îles