
Bonjouuur à tout le monde ! On perd pas le fil on perd pas le fil ! Ce coup-ci je vais relater mon mois de mois de février, la République Dominicaine. Je commence à écrire ces lignes comme d’habitude a posteriori de cette étape, une fois que la page est tournée, là où je peux faire de ce chapitre de vie un chapitre de blog.
Et alors, au moment où je tape ces lignes, je suis assise sur la banquette bâbord de la Joia. Jordi est à la barre, Arthur dort dans la cabine arrière, Jean lit Moitessier à côté de moi. C’est l’après-midi du 8 mars et ça fait quatre jours que nous avons repris la mer depuis la Rep Dom. Le bateau ne bouge presque pas ; la mer est assez plate et le vent faible fait claquer les voiles. Mais où va-t-on comme ça ? Ah ça, ça sera une autre histoire, encore et toujours…
En tous cas, j’écris en mer. C’est là où tout se dessine, tout prend forme et relief pour moi dans ce voyage. Le fil rouge de mon aventure, finalement. Enfin naviguer de nouveau. Comme ce beau jour du 24 janvier où s’était arrêté mon précédent récit, quand une année d’âge se rajoutait à mon compteur et que nous levions les voiles pour la Rep Dom depuis la Guadeloupe sur la Joia del Mar avec Jordi, Anna, Jean et Louisa.
24/01
Vent : N/N-E, environ 20 nœuds. La Joia file à 7 nœuds depuis 14 heures, tournant le dos à l’arc antillais avec vigueur. Let’s move on. Cap au 320°, sur les British Virgin Islands – où on comptait faire escale. Il est minuit, c’est mon quart. Jordi a préféré rester ; son bateau sa loi, c’est comme il veut. N’empêche que j’aimerais bien savourer ce moment de solitude privilégiée avec mon casque et le noir de la nuit comme seule compagnie.
Ainsi j’ai eu 22 ans, en mettant les voiles. Hier soir, on a fêté ce passage sur Deneb avec toute la troupe : les deux Jordi, les deux Martin, Anna Louisa Jean et moi. C’est cool comme anniversaire, je m’en souviendrai. Ce matin, alors que je finissais mes affaires après une dernière nuit sur Goelhan, Anna m’a préparé un gâteau à la banane poêlé qu’on a dégusté avant de lever l’ancre. Ciao la Guadeloupe, je t’aurai très peu connue mais c’était pas le moment. J’aurais stagné, je crois.
Ça faisait longtemps que j’avais pas fait de quart. Je dormais profondément avant de me faire réveiller. Le sommeil en bateau est définitivement quelque chose de spécial. [Je viens de remettre à l’eau un poisson volant qui s’est aventuré dans le cockpit, poussé par une plus grosse vague]. J’étais si loin !! Mes rêves sont insaisissables mais leurs bribes restantes imprègnent ces sensations bizarres au réveil, cette torpeur qui continue à habiter quelques minutes, ce difficile retour à la réalité dans un cycle de sommeil discontinu. Ah oui c’est vrai, je suis sur un bateau.
25/01
Je viens de voir passer une barque au loin. J’ai sérieusement cru que c’était une baleine qui sautait, super déçue. Il est 17h, on fait cap au 300°, génois tangonné à tribord, GV à bâbord en ciseaux* : le vent nous pousse de l’arrière avec la houle. On slalome entre les grains depuis quelques heures mais on risque de s’en prendre un d’ici quelques minutes. Je vois des gros rideaux gris de pluie se détacher sur un ciel bleu et le vent forcit tandis que j’écris. Face à moi à tribord, un superbe arc-en-ciel se forme et apparaît entre les nuages. En fait le ciel est magnifique.
On s’est prit quelques gouttes mais on est passés entre les mailles, comme tout à l’heure. On a quand même bien réduit le génois, il en reste plus beaucoup. La mer est tellement belle. La houle part un peu dans tous les sens, ses petits doigts mouvants nous projetant de toutes parts. L’eau reflète le jaune des nuages et le sombre des grains. Tout est parfait.
Quels moments d’éternité. On a joué de la musique, toute la journée dehors et en dehors du temps.

Tout à l’heure, je pensais à il y a deux ans, quand on descendait le Nil en felouque avec les copains. Comment est-ce que je ne m’étais même pas intéressée au fonctionnement du bateau ? Comme une cliente de charter… Ça me semble bien loin.
A l’Ouest, le soleil descendant derrière les nuages teinte le ciel qui rase l’horizon de jaune jurant sur le bleu perlé de la mer en dessous. Mais juste à cet endroit-là, puisque la mer a mille couleurs et reflets si on fait un 360°. J’adore ces ciels torturés. Ils me font absolument ressentir l’essence de la pureté d’être en mer, la communion avec l’univers dont parle Moitessier. Je suis en train de lire son bouquin, la Longue Route.*
J’ai passé mon casque à Jean pour qu’il écoute Nouveau Monde de Rone. Car bien évidemment, c’est ce que j’écoutais tandis que j’écris cette note seule sur le pont. Jean danse. C’est marrant de le regarder s’agiter sans entendre ce qu’il entend. C’est drôle qu’il s’agite, moi, sa musique me donne pas envie de danser mais de contempler, de ressentir.
*Bernard Moitessier, c’est une figure hyper emblématique de la voile. Il est parti faire un tour du monde et demi en solitaire pendant 10 mois en 1968… Il a inspiré toute une génération de marins – les fameux vieux loups de mer qui ont aujourd’hui bien 70 piges, et j’ai d’ailleurs appris son existence sur Adishatz. C’est un peu le bouquin qu’il y a dans toutes les bibliothèques des bateaux !
26/01 – jour d’escale
Journée douce et hors du temps. On est arrivés sur notre île des Virgin Islands la nuit dernière, vers 2h. On s’écroule tous, bien fatiguées ; on verra quel décor le soleil nous fera découvrir au réveil.
Celui-ci est tardif. Je me réveille à 10h par les éclats de rire d’Anna, bien sûr toujours fourrée avec Jordi. Je sors, et c’est le paradis. Sous le bateau, cinq mètres d’eau translucide. Pas loin, une petite plage blanche coiffée de cocotiers. Quelques baraques de luxe qui trouent la forêt. Pas grand-chose d’autre. Un peu seuls au monde dans une île inconnue, excepté le cata flanqué d’un pavillon américain auquel on est collés.

Alors qu’en petit déjeunant, on se demande si leur richesse apparente pourrait justifier qu’on aille faire un petit tour sur leur bateau voir si on peut récupérer quelque chose, ces mêmes voisins débarquent en dinghy – de luxe lui aussi, tout sourires, bières vides en main et parfait clichés de leur pays. Ils nous donnent même le mot de passe de leur wifi – qui se termine évidemment par un $. La piraterie, ça sera pas pour aujourd’hui .
Virgin Islands, j’avais dit ? Que nenni. On apprend qu’on se trouve en fait sur une île qui appartient à Porto Rico. Pour l’accent british qu’on s’amusait à prendre jusqu’ici, on repassera…Jouissif est le sentiment procuré par la symbolique qu’il y a derrière cette erreur : arriver sur une île indiquée par une carte, se retrouver dans un autre pays que celui imaginé, et rien ne change. C’est pareil en fait, dans tous les cas, on est sur une île inconnue et peu peuplée des Caraïbes. De toutes façons après avoir regardé la météo, Jordi décide qu’on repartira à la fin de la journée pour arriver avant samedi en Rep Dom, puisque le vent se lèvera un peu trop. On fait un mini stop, donc. C’est un peu comme un arrêt à la station-service pour pique-niquer quand on a un gros trajet en caisse sur l’autoroute.
Puis on fout des affaires en sac étanche et on nage vers la plage pour voir un peu ce qui se passe sur cette île. C’est presque insolent, on est cinq + Barbas, plus ou moins seuls au monde sur cette plage magnifique sous le soleil. Les panneaux sont bel et bien en espagnol. C’est assez désert, seules quelques Jeep trainent. Jean casse une noix de coco qu’on racle de nos dents en marchant pieds nus sur le bitume brûlant qui mène à la ville. L’architecture est bizarre, sans trop de sens, je suis enchantée de ne rien comprendre à cette île sortie de nulle part. La brièveté de notre escale ajoute à son mystère. L’île prétendue vierge mais en fait porto ricaine. Je pense que je m’en souviendrai, par la bulle d’éternité que ce stop représente.
Je suis en quart, il est 23h. je suis censée aller réveiller Jean pour qu’il prenne son tour mais je suis bien, là. J’ai ma musique, je suis seule et j’adore. Enfin à moitié seule, Jordi dort dans le cockpit. Un capitaine vigilant. Cap au 310°, Porto Rico à bâbord, vent du cul un peu mou mais on se maintient autour de 4/5 nœuds. On va un peu trop nord mais si je descends, le génois faseye, faute de vent et trop de houle. Aries [le régulateur d’allure, c’est-à-dire un pilote auto qui marche en suivant un certain angle au vent] barre plus ou moins bien, je dois le corriger quand il s’éloigne trop du vent ou quand il remonte trop au nord. La lune va bientôt se coucher, elle tire un grand smile orangé. On est à une centaine de milles de Samana, le nord de la Rep Dom. J’aurais aimé en être plus loin. Les lumières de Porto Rico m’agressent. J’ai envie de mer et d’infini, de temps étiré, pas de terre. Je me sentais bien partie pour une semaine de nav. Je suis si bien sur l’eau. Tout à l’heure j’ai dû passer une bonne heure à la proue, regardant le bateau jouer avec les vagues et le soleil descendre sur l’horizon. J’étais bien, je me sentais toute habitée, au milieu du corps. Je sentais la nav dans les tripes, en harmonie avec tout. J’adore lire Moitessier en ce moment, il met bien les mots sur ce que procurent la mer et la voile.

27/01
Le soleil s’est couché, boule de feu sur l’horizon parsemé de nuages. J’aimerais pouvoir dire lesquels c’est mais je sais pas les reconnaître. Des cumulus, peut-être ?
La Joia se pavane tranquillement dans les vagues. Le génois est pas pas totalement déroulé, on pourrait mettre plus de voile, mais à quoi bon. Je suis la première à ne pas vouloir arriver, pour une fois, je vais pas demander à manœuvrer. On file à 7,5 nœuds, une belle vitesse à laquelle je m’habitue désormais. Plus que 80 miles, dit Jordi. J’aimerais les rallonger.
22h. Je relis la journée et suis assez incapable de me souvenir chronologiquement de son déroulement. La nuit dernière, le vent a forcit d’un coup. J’avais commencé la nuit sur la banquette bâbord du carré mais c’était sans compter la non étanchéité de la Joia : il a plu, oui dehors mais aussi a l’intérieur. Petit réveil pas très doux. Hop je migre a tribord, mais tribord amure oblige, c’est pas facile de conserver mon corps sur la banquette. On sent bien, à l’intérieur, ce qui se passe dehors. Le bateau est un refuge mais ses remous ne trompent pas sur la force du vent et la hauteur des vagues. Alors quand je me suis fait allègrement projeter par terre, j’ai su qu’on gitait bien fort. Au même moment, Jordi à la barre a appelé Jean d’un ton pas très serein. Ni une ni deux j’étais déjà en haut, prête à lâcher de l’écoute du génois pour que Jean puisse wincher l’enrouleur, tandis que Jordi essayait de contrôler le bateau à la barre dans sa course folle au vent.
Bref, la nuit dernière il y a eu des grains. Ce matin, j’ai pris mon quart à 7h, toute enchantée de ce moment privilégié des premières heures du jour, mon moment préféré sur un bateau. Jean était là aussi, on discutait tandis que le vent avait molli et que le génois savait plus trop comment se mettre, son entrain volé par les creux des vagues et le calme.





Puis c’est assez flou. Les siestes et leur torpeur diluent le temps et lui font perdre de sa substance. J’ai passé le plus clair de mon temps dans le cockpit, je me sentais très occupée.
Jordi et Jean sont vraiment une paire de sacré mecs qui ont vécu une quantité énorme d’aventures que je connais un peu plus chaque jour en mer avec eux..
4h14. Je suis en quart. Fatiguée, j’ai pas vraiment dormi avant, ça bougeait trop et au bout d’un moment mon corps avait refusé. C’est fou comment les humeurs peuvent changer vite en mer. La fatigue m’a rendue grognonne. Ou alors c’est les côtes de la Rep Dom, maintenant visibles? La perspective de la fatigue d’arrivée ? Je sais pas mais j’ai moins d’enjouement et d’émerveillement d’être ici. Mais bon tout change vite. Bientôt je serai peut-être super excitée d’arriver sur cette terre toute neuve pleine de promesses.
Il nous reste une quarantaine de milles, on file toujours a 6/7.
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Arrivée à Samana. On débarque dans ce pays dont j’avais à peine conscientisé l’existence avant que le destin me le fasse découvrir. La Rep Dom, ce pays peuplé de gens très chaleureux et allègres toujours prêts à te donner un coup de main. Ce pays coloré du vert de la végétation omniprésente et du bleu de la mer jamais très loin – surtout de nous –, sans parler de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel desquelles ses habitants se plaisent à parer leurs maisons. Ce pays où les gens ont toujours l’air heureux, avenants et assez sûrs d’eux, mais en même temps toujours ouverts à discuter. Ce pays où « los problemos se cantan » (les problèmes se chantent), comme m’affirme Antonio dans la voiture de son pote Nino en stop, quand je l’interroge sur l’apparente allégresse qui règne sur le pays. Il faut dire qu’avec tous les artistes de bachata dominicains, il y a de la matière à chanter ici. JAMAIS ne s’arrêtent les airs de bachata ou de reggaeton qui sont propulsés à un volume inhumain (vraiment) dans les maisons, les colmados (supérettes locales), les barbershops, les cafés, partout, h24, 7 jours / 7, laissant totalement indifférents les tympans des Dominicain.es. Ce pays où l’on vit dans la rue assis sur des chaises en plastique avec ses voisins, où l’on se marie tôt, où les gens sont de fervents chrétiens et où hurler avec le plus d’emportement possible parait un bon sermon de messe. Ce pays où vivent énormément d’Haïtiens y ayant trouvé refuge, où le stop est bien évidemment très simple, où les plages sont extraordinaires, où l’on mange des avocats, des papayes, des ananas et des plantains, ou des assiettes de riz poulet. Rep dom. Ce pays où il fait bon vivre.
Samana est une grande baie abritée au Nord Est du pays, périmètre dans lequel on passera nos deux premières semaines. Là-bas, les touristes affluent pour voir les baleines qui se rassemblent dans la baie pour s’accoupler, mais sans que le lieu perde de son authenticité. Un grand pont relie la terre à une petite île déserte vers laquelle on jette l’ancre.
Jordi et Anna, peu de temps après notre arrivée, rejoignent les copains de Jordi qui sont venus se retrouver en vacances à une heure de Samana. Ce groupe de dix catalan, dans leur trentaine, a loué une villa dans laquelle on passe quelques soirées à jouer au billard. On loue une voiture pour pouvoir bouger ensemble dans des spots magnifiques et des paysages dont la Rep Dom a le secret : plages immaculées, immenses et désertes, falaises et reliefs dans la jungle, champs de cocotiers ou de bananiers parsemés d’arbres fruitiers.







Au milieu de ces décors grandioses, je dois composer avec une dynamique de groupe un peu particulière : Jordi et Anna sont très fusionnels tandis qu’il y a des tensions entre Jean et Louisa. Les moments à cinq sont rares, je m’efface parfois pour partir de mon côté et laisser les deux paires du leur, et bientôt à cause de la situation un peu compliquée, Louisa part du bateau, que Jean suit quelques jours dans le nord. Peu après, elle part en Colombie. Je me retrouve souvent avec Jordi et Anna et leurs plans avec les catalans, sans trop m’y retrouver. Je traverse une phase un peu plus chiante de mon voyage, avec pas mal de questionnements et d’insatisfaction sur l’enchainement des choses et sur la dynamique dans laquelle je suis prise sans pouvoir totalement être indépendante. Le voyage n’est pas un long fleuve tranquille ! Je reçois souvent ces messages ou ces remarques pour dire que je vis la vie de rêve, et c’est parfois vrai. Mais les moments de cohésion parfaite et de fusion naturelle avec l’enchainement des choses sont rares. Voyager seule, c’est très souvent aussi douter, être partagée entre une dynamique de groupe et une dynamique solitaire, c’est beaucoup de remises en question, de compromis et de recherche de sens. Et parfois, tout ce tourbillonnement devient très confus et le mental assaisonne le tout de son poison. Bref, période un peu moins fun !
Louisa part et avant le départ d’Anna, on lève l’ancre de la Joia pour faire une petite excursion à Los Haitises, un parc naturel de l’autre côté de la baie de Samana. Quelques heures de nav tranquilles mais venteuses, et nous voilà dans des décors thaïlandais, des rocs sortant de l’eau formant des grottes. On débarque à terre en ramant – le moteur du dinghy ne marche plus – et on rencontre Manuel et Julian, deux gardes du parc national super sympas. Ils nous font un peu voir les grottes (et les dessins du peuple qui était la avant que Christophe Colomb défonce tout), et on réussit à négocier de pouvoir faire un feu le soir pour dormir dans une grotte ! Y’a plus de gaz a la joia, on débarque alors avec nos ingrédients pour faire à manger dans leur maison et partager le dîner et les tiponch avec eux.



Tant qu’y a des gens, y a de l’aventure, me dis-je ce jour là, en comparaison avec la semaine dernière où la dynamique villa-plage des Catalans + Mahaut coincée entre deux couples, m’a quand même un peu plombée.
Dormir dans une grotte était une expérience trop cool. Bon, on a dû arrêter le feu parce qu’on asphyxié la frotte et nos poumons haha. Et on a assez mal dormi, réveillés par les moustiques. Mais ça en valait bien le coup. Le lendemain, on remonte l’ancre pour retourner à Samana. C’était court, mais sans moteur de dinghy, c’est un peu compliqué de voir la côte et les grottes. Mais bon j’ai dormi dans l’une d’entre elles et c’est ce que je retiendrai… Comme nos ancêtres.
Au retour, je fais des photos des bijoux que vend Anna pendant la nav (au près avec la gîte c’est un peu galère de crapahuter pour tenir en équilibre avec l’appareil…). Et juste avant d’arriver, on a le superbe spectacle de deux baleines qui passent à côté de la Joia <3 première fois pour moi que j’en vois en nav ! J’espérais bien en voir, y’en a plus de 1000 qui migrent dans la baie chaque année pour s’accoupler et élever tranquille les bébés !


Cabarete ou la vie dominicaine
Au départ de Louisa et Anna, on se retrouve tous les trois avec mes deux petits Jean et Jordi. Alors c’est le départ : on prépare des planches de surf qui les accompagnent toujours sur la Joia, quelques affaires pour quelques jours, et on décale à Cabarete, une petite ville à 3h de Samana, pour rejoindre les cinq potes de Jordi qui restent encore là-bas quelques jours. Cabarete, c’est LE spot de surf de la Rep Dom. Dominicains comme touristes se retrouvent là-bas pour kiter, surfer ou faire du yoga. Vous voyez, ces endroits qu’il y a dans chaque pays pour les travelers un peu instagram, influenceurs de slow travel en tous genre qui s’inscrivent à des retraites de yoga et qui mangent des poke bowl ? Cabarete, c’est cet endroit où se retrouvent les cool kids surfeur/euses de l’Occident.

Jean et Jordi ont pas mal d’années de surf derrière eux et vont pouvoir bien se faire kiffer. Et moi je vais apprendre un peu, à ma plus grande joie, mais de toutes façons on est là juste pour quelques jou… oh wait. C’est là que Barbas, le chien pirate de Jordi – dois-je rappeler son existence à part entière dans le groupe ? – intervient et fait basculer notre destin des trois semaines suivantes. Barbas c’est comme le personnage du film qu’on avait presque oublié mais qui en fait tire toutes les ficelles de l’histoire…
Donc deux jours après notre arrivée à Cabarete, alors que je me fais trainer avec tout le groupe des catalans en voiture pour chercher LE spot des bonnes vagues sur la côte, un terrible combat éclate entre notre cher Barbitas et un molosse dominicain pas franchement joli. Après des hurlements et un combat bref, les crocs du méchant chien sont serrés sur la gueule de Barbas et c’est impossible de l’en défaire. Jordi, dépité, essaye de frapper le gros chien (scène a posteriori un peu comique) mais rien n’y fait, il ne le laissera pas. Heureusement, son propriétaire les empoigne et leur fout la tête sous l’eau de la rivière juste à côté. Barbas s’échappe, ouf. Mais… il est KO et il boite sévère. Boitillement qui s’avère être une fracture de la patte, il en a pour trois semaines. Jordi réfléchit, les plans changent très vite. Il ne se voit pas retourner au bateau, vivre la vie de mouillage et naviguer jusqu’à notre prochaine destination avec un Barbas aussi mal en point. Le capt’ain catalan décide alors de trouver un logement terrestre ici à Cabarete pour trois semaines…
Tout s’enchaine et j’ai pas l’impression d’avoir trop mon mot à dire sur les décisions qui se prennent mais en même temps, qu’est-ce qu’on pourrait dire ? Non, Barbas serre les fesses, on va direct au Guatemala ? C’est ni mon bateau ni mon chien. Alors OK. Ça peut être quelque chose de super, d’être coincés ici, dit Jordi à juste titre. Le voyage, les imprévus… Le jour-même, à la recherche d’un endroit où se poser pendant tout ce temps, on rencontre Vicente, un genre de mafieux dominicain avec une arme dans sa voiture de luxe, qui accepte de nous louer sa maison pour 300$ pour 3 semaines. Le gars est un peu douteux, j’ai plus de réticences que les garçons devant cette précipitation mais le plan est quand même vraiment pas cher et de toutes façons, on sait pas où dormir ce soir… allez, deal ! On logera avec le fils de Vicente, Jonathan, 13 ans. A 13 ans Jonathan en fait 18, a sa moto avec son nom gravé dessus, ne va que très peu à l’école, conduit la grosse caisse de son père en buvant au volant… enfance volée. Le Jonathan s’avèrera être très cool, il fait partie de notre vie ici. En package dans le deal, à part l’ado : une très vieille voiture qui roule au gaz, des années 1660 je dirais, haute en style vintage – les collectionneurs se l’arracheraient. Des étoiles dans les yeux, les garçons s’imaginent déjà débarquer tous les matins à Encuentro, la plage de surf de Cabarete, avec les planches sur le toit.
La maison de Vicente est située calle 9 du barrio Callejon de la Loma à Cabarete, le quartier local. Tout est couleur : les façades des maisons, le vert des arbres dans la rue, les vêtements des gens, leur cœur.

Vicente a un petit jardin avec des bananiers et une petite terrasse qu’on aménage pour se poser. Aménage est un mot bien gentil, j’utiliserais plus le verbe « retourner », en fait : quand on arrive dans notre heureuse demeure, c’est Beyrouth – en enlevant le côté enchanteur et attachant de son bordel. Tout est dégueulasse, vraiment, et vous savez que je suis pas maniaque. De la bouffe pourrit dans le frigo, les placards sont immondes, ça pue ; la chambre de Vicente est jonchée de flacons en tous genre dispersés autour de restes de poudre blanche… On lance une opération grand ménage pour faire de cette maison notre chez-nous de quelques semaines.
C’est ainsi que commence notre vie sédentaire à Cabarete et notre coloc terrienne, avec mes compagnons de la mer dont un Barbas sur trois pattes.


Quelques jours après notre arrivée l’équipe s’agrandit : Arthur, un pote de Jean de Bruxelles, nous rejoint pour une durée indéterminée pour faire partie de l’aventure Joia del mar. Arthur est un chic type, charpentier, il est extrêmement créatif et sait tout faire avec ses mains. C’est encore un profil qu’il me devient si fréquent de rencontrer que c’est devenu la norme : il a un van, il cuisine, il surfe, il se démerde pour avoir des taff à droite à gauche mais toujours en lui donnant l’opportunité d’arrêter pour kiffer ailleurs. Arthur, ou Papanch pour les intimes, a un grand cœur et s’insère naturellement dans le groupe par son authenticité.

Les premiers jours, on prend nos marques. Les garçons essaient coûte que coûte de faire marcher la voiture mais avec mon flair féminin – ou peut-être ma flemme des emmerdes et mon amour pour le stop – je sais que ce vieux tacot est un nid à problèmes et qu’un problème résolu en engendre exponentiellement deux ensuite. Pour la faire courte, dès notre première virée, les batteries lâchent, puis plus tard ça sera le gaz qui manque, pour qu’ensuite un truc que j’ai pas retenu pète complètement et rende la voiture H.S. Le tout accompagné comme vous pouvez vous l’imaginer d’épisodes galères où on gare la voiture à la main, on la laisse à tel endroit, on est plantés avec les planches de surf dans la nuit parce que les phares ne marchent plus, on doit attendre X qui fait tous les magasins du coin pour du gaz tandis que Y est parti avec Barbas chez le véto mais y’a plus de batterie en route…Bref ç’aura été mi-drôle, mi-chiant cette histoire de caisse centenaire. En tous cas on commence déjà à se faire remarquer avec nos histoires.
Parce que Cabarete, c’est un petit monde. Petit monde divisé entre les surfeurs qui investissent la plage le matin quand le vent est moins fort, et les kite-surfs qui se font bien plaisir l’après-midi quand les alizées se lèvent. C’est drôle de voir que selon ta planche, tu appartiendras à l’un des deux groupes sociaux. Un évènement réunit tous les Cabaretois tous les mercredi soir : l’open mic session à la Chavola, un concert ouvert hyper cool où de nombreux groupes talentueux et plus ou moins improvisés montent sur scène (où d’ailleurs, la rockstar Jordi prendra le micro sur scène une fois avec Jean à la guitare. Commentaire d’un Ricain : « a rasta playing Rock’n’roll, I love it ! »).
On commence à faire partir du paysage ici, à connaitre des gens qu’on recroise un peu partout, dans les bars, à la plage, on se fait des potes d’un peu tous les horizons, Gale l’Israélien, Maria la Colombienne, Russ l’anglais, Evelyn l’Argentine, plein de dominicain.es Rosa, Ruth, Dimas, Anna… On rencontre notamment Viktor, un amour de gars qui a son petit shop de surf sur la plage d’Encuentro et qui accepte de garder nos planches pour qu’on ne se les trimballe pas tous les jours en venant en stop ou en collectivo. Fun fact, Viktor me proposera d’être prof de surf pour son magasin… hein quoi ?? En fait, il manque de femmes instructrices puisque certaines élèves ne se sentent pas à l’aise de prendre une leçon avec un homme. Que je sache pas surfer ? Mwaaa pas grave, ce qui compte c’est de savoir enseigner. Alors on me montre, on me coache le coaching et j’apprends les bases au passage, la situation est marrante. Au final, ça n’aboutira jamais puisque je ne pourrai plus aller à l’eau… Mais Arthur pour le coup se fait des testicules en or avec ce plan-là !


Je réalise que c’est quasi la première fois qu’on s’éloigne du bateau et du petit monde des voileux depuis notre départ de Martinique. En rencontrant surtout des voileux.ses depuis le début, c’est devenu limite classique d’être en bateau-stop à parcourir les Caraïbes après une transat. Ici dans le monde des terriens si je puis dire, notre histoire sur la Joia fascine, avec notre arrivée sur cette île enchanteresse par les mers, Jordi et Jean les parcoureurs de mer depuis trois ans, le chien pirate qui nous coince ici… Notre petite famille est un joli tableau exotique. Ça fait du bien de se sentir appartenir à un endroit le temps de quelques semaines. A l’échelle d’un voyage nomade, ça parait une éternité. Ça soulève un paradoxe nouveau : si d’un côté j’étais un peu frustrée sur les autres îles de passer aussi vite sans avoir le temps de m’imprégner de la culture et de la vie locale, rester longtemps sur terre ne laisse qu’une hâte, celle de reprendre la mer.
Le surf
Armée d’une Malibu que Jean et Jordi ont achetée au Brésil, je fais mes débuts en surf. Et qu’est-ce que c’est ingrat ! Globalement, ça se résume à : ramer, ramer, ramer, ramer sans fin jusqu’à la barre de vague que parfois seulement j’arrive à atteindre, puis attendre, essayer, rater, ramer encore et encore, parfois faire l’erreur d’essayer de se mettre debout dans l’eau pour souffler comme les débutants et se prendre des oursins dans les pieds… En gros, 98% du temps c’est du ramage. Mais imaginer à quel point ça doit être jouissif d’être un peu bon.ne et de prendre des bonnes vagues m’accroche et m’acharne. D’autant plus que je suis un peu dans le meilleur contexte pour, bloquée pendant trois semaines sur un spot de surf.
Je fais quelques petits progrès sans qu’ils soient incroyables, une « bonne » session où je prends quelques vraies vagues peut être suivie de 3 sessions sans aucune vague prise. Les conditions font tout dépendre, j’apprends à voir quand une vague est bonne, comment il faut se placer, la position pour ramer, pour se lever etc. Mais c’est dur.





Au bout de moins d’une semaine, je laisse les garçons faire leur vie de surfeurs chauds bouillants avec les potes catalans de Jordi – c’était leur dernier jour – et je pars en stop à quelques heures de Cabarete à la Vega pour y voir un carnaval dominicain avec des gens rencontrés la veille dans un bar. Sur la route, en montant sur une moto, je me brûle bien fort la jambe droite en la collant sur le pot d’échappement. Erreur de débutante… Je serre les dents, mes duties de stop m’obligent à discuter avec mon conducteur (et à refuser ses demandes en mariage) et ça servirait à rien de lui montrer ce que je viens de faire. Me voilà avec une jolie brûlure au second degré qui lui vaudra le nom de « tatouaje dominicano ». Pendant une semaine je continue à aller à l’eau croyant que c’est pas si grave, mais le truc devient franchement moche et la peau à vif de la taille d’un petit oignon, creusée par le sel, c’est pas fou. Une seule solution pour éviter l’infection ou que ça se dégrade trop : arrêter d’aller à l’eau. Alors je m’y résous, c’est la fin de ma carrière de surfeuse. Je suis dégoutée et espère une guérison rapide mais elle n’adviendra qu’à notre départ de Rep Dom.



Ding dong… C’est le travail qui sonne son heure. Toutes contentes de ma brûlure et de mon immobilité, les responsabilités ramènent leur fraise et viennent me rappeler mon engagement pour Econogy. Pour ceux qui n’ont pas suivi, j’avais appris la veille de mon départ sur Adishatz que mon service civique ne se ferait pas et que je serai donc en bénévolat pour le projet. D’un côté j’avais pas le sou du service civique, de l’autre, j’avais la liberté d’un bénévolat dont je posais le cadre. D’un côté, tant mieux parce que si en effet il avait fallu que je sois en Colombie en janvier, je serais même pas là où j’écris actuellement ces lignes, j’aurais pour sûr vécu une toute autre histoire mais celle-ci aurait passé par la case aéroport. De l’autre côté, avec le maigre recul que je peux avoir maintenant, je trouve ça chouette de voyager avec un objectif – bien sûr, souple, mais une espèce de but ou un projet derrière. Moi, j’ai celui de mon documentaire, qui se réjouit de tous les milles nautiques inattendus parcourus en mer des Caraïbes. Mais c’est un objectif lointain qui demandera un temps mo.nu.men.tal que je devrai prendre dans les prochaines années, sûrement après mes études. Bref, je parle de cadre car celui conféré par Econogy est tellement flexible qu’il s’est dissous dans la matrice : j’ai bien du mal à avoir des nouvelles et des retours des deux gérantes du projet, ce qui est un poil frustrant. Je dois donc m’auto-responsabiliser et considérer ma participation au projet comme quelque chose que je fais pour moi. Et c’est donc ce que je me suis efforcée de faire, pendant ces deux semaines à Cabarete : aimer utiliser mon cerveau pour investiguer sur mon premier article, portant sur l’empreinte carbone des voiliers. En fait, j’avais trouvé avec les filles de Econogy un compromis : je suis pas là où je suis censée être pour le projet mais je peux rendre mon aventure compatible avec la ligne rouge d’Econogy, très modulable. Et donc, écrire sur le voyage en voilier et tout son rapport au temps et à l’environnement rentrait là-dedans.

Brrrref, c’est décidé je m’y mets, et pendant le reste de notre séjour à Cabarete, tandis que les garçons se lèvent à 6h pour aller à Encuentro surfer, je reste chez Vicente pour travailler. Ce décalage était pas toujours facile, d’autant plus que l’absence d’attentes concrètes et de nouvelles du côté Econogy remettait sans cesse en question le sens du temps que je prenais pour faire ce travail, et par extension le sens de mon séjour en Rep Dom, le sens de ma cohabitation à Cabarete, le sens de tout en fait. Pas simple.
Pour chasser ce tourbillonnement mental, ces doutes un peu toxiques et me retrouver, je décide de partir quelques jours seule marcher dans la nature. Je prends un hamac, mes deux pulls et tends mon pouce vers le Sud vers les montagnes dominicaines. J’ai une idée de rando sans qu’elle soit bien précise, je veux simplement trouver un endroit où marcher des heures sans voir trop d’êtres humains et camper à la sauvage ; me retrouver « lejos de la ciudad » – dédicace à l’hymne de la Joia – et faire un break d’une dynamique avec les garçons qui est super mais qui se doit d’être parfois rompue pour être pleinement appréciée. Après quelques voitures et motos, j’arrive à El Arroyazo, petit bled à côté d’une réserve scientifique dans la montagne. Aah, enfin seule dans la nature et au CALME, je savais même plus que ça existait dans ce pays. Le soir, je cherche un spot pour mettre mon hamac sans que personne vienne me déranger. Je trouve une petite butte reculée et installe mon maigre campement, tout sourire. C’est ça que je cherchais. Je déballe mon dîner – du pain et un avocat, mon repas préféré de Rep Dom et… je sens des gouttes. Oh non, ça j’avais pas anticipé. Après cinq minutes de déni, je me réfugie dans mon hamac – étanche ? Point du tout. J’essaie de me convaincre qu’on peut dormir sous la pluie mais je me résous bien vite à l’évidence : c’est mort – d’autant plus qu’il commence à cailler de ouf. Faut que je me barre et que je trouve un endroit couvert… Je me prends à imaginer un couple de vieux qui m’accueillerait dans un maisonnette dans un endroit paisible. Je plie bagage. Mes pas me mènent à une propriété juste à côté. J’entends la télé à l’intérieur, mais on ne peut pas m’entendre depuis le portail. Je trouve un moyen de l’ouvrir – incruste tranquille sans aucun remords – et toque à la porte. Une femme m’ouvre, méfiante : le portail est ouvert ?? Comment es tu entrée ici ? Je m’excuse et explique. Elle est sereine, aah, mais tu peux dormir à l’intérieur si tu veux. Tiens, voilà une chambre. Tu veux prendre une douche ? Je vais te faire un chocolat. Wow. Exactement ce dont j’avais besoin et envie. Sa maison est en bois, avec une déco super kitsch bien sûr. Ingrid, la femme, s’y rend les weekends, quand elle n’est pas à Saint Domingue en train de bosser – elle est médecin. Je prends une douche brûlante et réalise que mon plan camping sauvage à l’arrache était une blague totale : il fait 5° ici la nuit. Où je pensais aller avec mon pauvre hamac et ma technique de l’oignon ? J’en ris toute seule. Mais bon, on s’en fout complet, cette nuit je dors dans un chalet grâce à une petite ange gardienne.
Le lendemain, j’attaque une ballade super chouette. Je croise personne. Je suis accompagnée de plein de colibris, de pins portant des épiphytes, de palmiers hauts et humides. Le sentier alterne entre passages dans la forêt (bien différente de la jungle des côtes ; on est en altitude ici), traversées de cours d’eau et vue super belle en haut. 4h de balade que je fais en +, puisque je m’arrête au sommet pour manger mon repas dominicain 🍞 🥑 et je fous mon hamac en haut de la cabane qui le surplombe pour faire une sieste avec une superbe vue sur le plateau de la Vega. Je suis bien. J’ai bien fait de faire tout ça. Je redescends, puis l’un des gardes m’offre un repas a base des restes du midi. Trop chou. D’ailleurs, heureusement que j’ai échoué à mon plan initial de camper dans la réserve : j’aurais vraiment crevé de froid et là haut, pas de maison à laquelle toquer. Je décide de retourner chez Ingrid – un peu culottément, je lui avais demandé si je pouvais revenir le soir même, elle m’avait dit oui. Sur le retour, je croise un de ces groupes de paysans qui cultivent les fleurs, et leur propose mon aide. Ils me laissent pas trop faire mais comme j’insiste, je plante quelques plants, sous leurs regards un peu éberlués : qu’est ce que fout une blanche dans mon champ les mains dans la terre ? Encore une fois, ça me fait rire, ils doivent vraiment me prendre pour une alien. Que Dieu me garde, me disent-ils quand je reprends ma route. Je pense que c’étaient des Haïtiens. Ils ont la peau plus sombre et ont un peu les sales boulots en RepDom.






Le lendemain, je me réveille une dernière fois dans cette maison improbable. Sérieux, on dirait bien que je suis tombée sur la cousine d’Alice aux pays des merveilles. Tout est de couleur, l’agencement est biscornu, la déco est cheloue, des petites cabanes sortent du pays des Bisounours. C’est un peu bizarre mais c’est hyper atypique et assez trippant. Ingrid a plein de poules, de dindes, deux lapins, un perroquet (avec une aile coupée pour ne plus voler 😐) et plein de poissons dans ses aquariums. Pas mal de gens bossent pour elle, pour aménager tout ce bordel. Quel étrange endroit… Mais si paisible. En tous cas, cette femme a un bien grand cœur. Fais attention ! Méfie toi des hommes, me dit-elle en partant. C’est vrai que c’était reposant de rester chez une femme, sans avoir à être en vigilance en arrière plan.


Le stop en Rep Dom
J’ai pas mal d’occases de faire du stop par là-bas, ce mode de transport restant bien sûr mon moyen préféré pour découvrir un pays, partir faire mes trucs seule et de rencontrer les gens. Le stop c’est quasi toujours la même chose : des mecs dans 90% des cas, très sympas, dont une grande partie me mettent en garde contre tous les autres méchants – je passe mon temps à leur dire que les autres me tiennent toujours le même discours -, et dont un bon 2/3 me demande si je suis mariée / j’ai des enfants / j’ai un novio. Je sors toujours la même rengaine qui doit en bouleverser (j’abuse à peine) plus d’un : non, je suis pas mariée, je veux pas d’enfant maintenant et je veux rester indépendante. Tous s’étonnent beaucoup de me voir seule, en fait. Un gars me dit en me déposant au début d’une route qui monte en altitude : « je t’ai prise pour deux raisons : un, j’aime aider les gens, deux, tu es très belle ». Ça résume très bien les dominicains, en somme. C’est un peu oppressant mais ils sont pas méchants, au contraire. C’est juste leur culture.
Pour notre dernière semaine à Cabarete, un certain Jordi nous rejoint après avoir posé son bateau à Samana (je vous l’accorde c’est pas très pratique tous ces Jordi et ces Martin…). Jordi, on l’avait rencontré en Guadeloupe juste avant de partir pour la Rep Dom. Il navigue son beau voilier rouge Alegria de la Huerta, acquis aux Canaries pour 2 euros il y a quelques années… On avait mis les voiles en même temps vers les BVI, mais alors qu’on s’y était arrêtés même pas 24h, il s’est fait « coincer » là-bas quelques semaines car le surf y était trop bon. Donc celui qu’on appelle Dijo s’insère tout naturellement dans notre vie Cabarétaise en posant son hamac chez Vicente. C’est un super gars avec une bonne énergie en plus dans l’équipe, qui fait du parapente, monte des vidéos, et surfe aussi bien sa planche que la vie. Comme le reste de la flottille, il a pour projet de traverser le Pacifique l’année prochaine.



Bientôt, les discussions tournent autour de notre départ. Le temps presse Jordi, qui a trouvé un job cet été à partir du mois de mai. Il veut avoir le temps d’arriver au Guatemala suffisamment avant son retour à Barcelone pour avoir le temps de bosser sur la Joia au sec (hors de l’eau). Il est question de changer nos plans et d’aller voir Cuba au lieu d’aller en Jamaïque, mais Martin (de Goelhan, mon premier bateau de la flottille) est sur le point de partir de Guadeloupe pour nous rejoindre là-bas, c’est compliqué de tout changer, on reste sur le pays du Bob. Barbas va mieux. Le jour de notre départ de Cabarete, on lui enlève son attelle et il redécouvre la sensation d’être sur quatre pattes… Ça lui a fait un sacré coup d’arrêt, au Barbas, lui qui est toujours trimballé de partout avec nous dans nos plans fous. On dit au revoir à Cabarete, à notre maison, à notre calle 9, à nos potes et à tout ce petit univers qu’on s’était construit le temps de trois semaines sur terre. Dernière session de surf pour tout le monde – sans moi, on se débrouille toujours pour trouver un pick-up où se tasser à l’arrière avec nos affaires et les planches. Cap sur Samana, on retrouve les bateaux et on décide de partir deux jours après.

Et un mois plus tard, départ de Samana
Le samedi, c’est branle-bas de combat. Opération gaz, courses, eau, douane et clearance pour se préparer pour les quelques 450 milles qui nous séparent de la Jamaïque. Dijo retrouve deux potes à lui qui viennent l’accompagner jusqu’au Guatemala, Flo et… Martin (un autre hein). Je matche tout de suite avec eux, mais on deviendra copains plus tard, là il faut faire des allers-retours de partout pour être prêt.es pour la nav. Une fois que les potes de Dijo aient failli ne pas arriver à Samana avant que la douane ferme, que j’aie manqué de crasher le dinghy de Dijo sur des rochers pendant que je remplissais les jerricanes d’eau, que la barque qu’on nous a prêtée pour emmener toutes nos courses ait presque coulé tellement c’était lourd, on est BONS !
Le lendemain tôt, Jordi de la Alegria sort son drone pour filmer notre départ. A bord de la Joia del Mar avec Jordi, Jean et Arthur, on est partis pour quelques 4 jours de navigation qui seront mes préférés, toujours portés par les alizés qui guident notre route vers l’ouest, vers le pays imaginaire du reggae et de la marijuana…


Oh non.. c’est terminé😩😩😩… maintenant que j’ai voyagé avec toi.. je vais nourrir Clement et son copain Roméo qui passent quelques jours à la maison.. en plus tu écris tellement bien… ils ont tous de bonnes gueules te Jordi/Martin.. je t’embrasse fort ma chérie.. merci de m’avoir fait rêver (je suis le dos au feu.. mistral caillant) Babiche
<3 merci de me faire aussi voyager en france dans ta bonne maison ;)